D’après Le Miroir du Nord

Nos confrères du Miroir du Nord publient un entretien important sur les langues régionales avec Michel Feltin-Palas, auteur du livre « Sauvons les langues régionales ». Découvrez-ci-dessous le début de cet entretien.

MDN : Pouvez-vous vous présenter ? D’où vous vient cet intérêt particulier pour les langues régionales ?

Il y a deux raisons pour lesquelles je m’intéresse à ce sujet. La première est professionnelle. Depuis 20 ans environ, j’écris régulièrement pour L’Express des articles consacrés à la langue française et aux langues en général. Surtout, depuis 2018, je publie chaque semaine une lettre hebdomadaire gratuite consacrée à la langue française, aux autres langues de France et à la défense de la diversité culturelle en général, intitulée « Sur le bout des langues » (2). Ce travail me conduit à interroger chaque semaine des linguistes, des historiens, des universitaires spécialistes de ces sujets. Au fil des années, j’ai fini moi-même par monter en compétences, au point de publier des livres et de donner des conférences sur cette thématique.
La seconde raison est plus personnelle. Si j’ai toujours vécu en Ile-de-France et si mon père était parisien, ma mère était béarnaise et avait pour langue maternelle le béarnais – une langue d’oc que l’on peut aussi appeler « gascon » ou « occitan ». Dans les années 1970, elle était encore la langue de toute sa famille et de tout son village, comme c’était le cas dans cette région depuis environ mille ans. Or, à l’échelle de ma vie – ce qui est bref d’un point de vue linguistique – j’ai vu cette langue non pas disparaître, mais devenir minoritaire. Plus grave : il y a toutes les raisons de penser qu’elle pourrait disparaître d’ici à quelques décennies, du moins si la France ne modifie pas sa politique linguistique. J’ai donc également une approche sensible de ce sujet.

MDN : Quels sont les messages passés dans votre dernier ouvrage ?

Il y en a plusieurs, mais je résumerai ici les deux principaux.

Premièrement : d’un point de vue linguistique, les langues dites régionales n’ont rien à envier au français, à l’anglais, à l’espagnol et aux autres « grandes » langues. En effet, contrairement à ce que l’on croit souvent, celles-ci ne leur sont pas supérieures linguistiquement. ll existe ainsi en gascon un temps qui n’existe pas en français : le futur du passé (et je pourrais prendre bien d’autres exemples).

Les « grandes langues » ne leur sont pas non plus supérieures littérairement. Frédéric mistral a été prix Nobel de littérature en 1904 pour une œuvre écrite en provençal. Quant à Michael de Swaen, né à Dunkerque en 1654, il est encore étudié comme un poète majeur dans les écoles des Pays-Bas et de Belgique.

Non, le seul élément qui les différencie, c’est leur statut. Par les hasards de l’histoire, les langues dites régionales n’ont pas eu de la chance de devenir langues officielles d’un État. Cela ne fait pas d’elles des dialectes et moins encore des patois, mais des langues minoritaires, voire des langues minorisées. Ce n’est pas du tout la même chose. Comme le disait le linguiste Max Weinreich : « Une langue est un dialecte avec une armée. » On n’a trouvé personne pour lui donner tort.

Mon second message est le suivant : il est encore possible de sauver ces langues si la France le décide. En effet, non seulement elles comptent encore une dizaine de millions de locuteurs, mais ni le corse ni le picard, ni le flamand, ni les autres ne sont condamnés par la modernité.

Pour le démontrer, j’aime comparer le breton et le gallois, deux langues celtiques parlées en France et au Royaume-Uni, deux pays voisins et de développement économique comparable. Voilà quarante ans, on recensait pour chacune de ces langues environ 500 000 locuteurs. Or, aujourd’hui, le breton n’est plus parlé que par 200 000 personnes alors que l’on en compte 650 000 pour le gallois. Pourquoi ? Parce que le gallois serait adapté à la modernité et pas le breton ? Je souhaite bon courage à celui qui essaiera de soutenir cette thèse ! La réalité est tout autre : au Pays de Galles, le gallois est soutenu par les pouvoirs publics. Son étude est obligatoire dans presque toutes les écoles jusqu’à 16 ans ; il dispose d’une télévision et d’une radio publiques depuis plusieurs décennies ; les citoyens peuvent s’exprimer dans cette langue devant les tribunaux ; etc. Toutes mesures qui n’existent pas pour le breton en Bretagne. Là est la différence. Cela montre bien qu’une langue minoritaire peut continuer à progresser au XXIe siècle, mais il faut pour cela une politique linguistique adaptée.

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