D’après Breizh-Info.com
Deux jacobins « XXL » peuplent la vie politique française : Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Le second ne manque pas une occasion de dire tout le mal qu’il pense du régionalisme et de l’idée bretonne. Manifestement, il aurait été à son aise lors de la Convention montagnarde. La première, si elle apparait moins bavarde sur le sujet, n’en possède pas moins des positions très arrêtées sur la question régionale.
Comme son père, elle est à 100% jacobine : on gouverne la France, des territoires avec des préfets forcément sortis de l’ENA – donc des gens formatés centralisation et hostiles par principe et par religion à toute forme de régionalisation. Les préfets sont l’avenir du Front National !
Pour ce parti, le département fait figure de « graal » auquel il est interdit de toucher car présentant toutes les qualités et tous les avantages. C’est oublier que lors de sa création en 1790, le département répondait à une logique qui n’est plus d’actualité aujourd’hui. En effet, en 2014, il apparait trop petit par rapport à la région, seule en mesure de mener une véritable politique d’aménagement du territoire, mais aussi trop grand par rapport à l’intercommunalité, la mieux placée pour assurer une réelle proximité ; si bien qu’on peut voir en lui le « maillon faible ».
Lors de la discussion du projet de loi relatif à la délimitation des régions, c’est Marion Maréchal-Le Pen, la nièce, qui a donc expliqué à ses collègues députés tout le bien qu’il fallait penser dudit département. Ce dernier, « gage d’efficacité et de proximité, doit non seulement être conforté dans son rôle de garant des solidarités territoriales et sociales, mais, aussi, renforcés dans ses compétences en matière de gestion des services publics locaux en se voyant attribuer une partie des compétences dévolues aujourd’hui aux régions – lycées et santé, par exemple – pour les exercer avec celles qu’il a déjà. »
Mais ce n’est pas tout. Le fameux département « doit devenir l’échelon privilégié des questions intercommunales. Cela évitera de créer de multiples intercommunalités qui diluent le pouvoir de décision et qui morcellent le territoire au gré des alliances politiques. »
C’est oublier que si primauté de la région et de l’intercommunalité il y a, le département est forcément condamné à disparaître si l’on veut éviter les doublons.
Quant à la région, dans les propositions de Marion Maréchal Le Pen, elle se voit réduite à peau de chagrin. « Les régions doivent être complémentaires et non concurrentes des départements, en devenant des établissements publics de coordination départementale composés d’élus départementaux. Les doublons doivent cesser par la suppression de la clause régionale de compétence et une redistribution claire de celle-ci. » (17 juillet 2014)
A coup sûr, Mme Maréchal Le Pen se tire une balle dans le pied avec une idée aussi bizarre. En effet, cette dernière entrainerait une disparition des élections régionales, compétition à laquelle le FN, grâce à la représentation proportionnelle, parviendra, en décembre 2015, à obtenir un nombre d’élus substantiels – et ainsi à professionnaliser une partie de ses cadres.
Alors qu’avec les élections départementales, prévues en mars 2015, avec le scrutin uninominal majoritaire, le FN ne pourra engranger qu’une poignée d’élus. Mme Maréchal-Le Pen tire contre son camp ; ce n’est pas une grande politique.
Il est vrai qu’elle n’a peut-être pas encore compris à qui elle doit son élection en juin 2012 ; au second tour, les électeurs du Front de gauche ont préféré voter FN plutôt que PS …
Ce sont eux qui l’ont envoyée au Palais-Bourbon, mais il semble qu’elle ne s’en soit pas aperçu.
Avec ces « établissements publics de coordination départementale », nous faisons un bond en arrière. Nous revenons aux « établissements publics régionaux » créés par la loi du 5 juillet 1972.
Le Premier ministre s’appelait alors Jacques Chaban-Delmas, girondin convaincu, qui, après l’échec du référendum initié par Charles de Gaulle sur la régionalisation (27 avril 1969), recherchait un moyen de relancer la décentralisation. Avec les EPR, on faisait avancer le schmilblick tout en n’effarouchant pas les jacobins ; ces « établissements » s’installaient dans le périmètre prévu par le décret du 2 juin 1960. Donc la Bretagne à 4 départements d’un côté et les Pays de la Loire de l’autre.
Ayant à leur tête un conseil régional composés d’élus désignés au suffrage universel indirect, un comité économique et social à vocation consultative et un préfet de région doté du pouvoir exécutif, ces EPR étaient régis par le principe de spécialité, suivant l’article 4 de la loi du 5 juillet 1972 ; ils avaient, dans le cadre de procédures limitativement définies, pour seule mission de « favoriser le développement économique et social de la région ».
Mais ils avaient considérablement élargis, en quelques années, leur champ d’intervention. Leur mutation en collectivité territoriale fût assurée par la loi du 2 mars 1982 (Defferre).
Un établissement public territorial a par définition, comme une collectivité locale, une vocation territoriale. Mais à la différence de celle-ci ne lui est imparti que quelques missions. Ses interventions sont régies par le principe de « spécialité » d’une part, et, d’autre part, sa gestion est assurée par un conseil d’administration qui, s’il est composé d’élus, ne peut être assimilé à un conseil (municipal, général ou régional) procédant du suffrage universel direct. (Dictionnaire constitutionnel PUF).
Dans le cas des EPR, le conseil régional était composé de députés et des sénateurs de la région. Mais aussi des maires des grandes villes et de représentants des conseils généraux désignés par leur assemblée.
Il faudra attendre mars 1986 pour que les conseillers régionaux soient élus au suffrage universel direct.
A l’époque du conseil régionale sauce EPR, le cumul était pratiqué dans les grandes largeurs. Après la disparition de René Pleven de la scène politique bretonne – battu aux législatives de 1973 à Dinan par Charles Josselin – Raymond Marcellin put devenir président du conseil régional de Bretagne, tout en restant président du conseil général du Morbihan et député-maire de Vannes. C’était le bon temps …
« Bon temps » que Marion Maréchal-Le Pen n’a pas connu mais qui semble, pourtant, la fasciner. Dans les « territoires », les préfets étaient les patrons puisqu’ils assuraient l’exécutif des EPR et des conseils généraux. A côté, les élus faisait figure de petits personnages – sauf s’ils étaient ministres – aux pouvoirs limités. C’est ce à quoi aspire MMLP, semble-t-il.
Pourtant, l’intéressée n’a pas tout mauvais, puisque, au milieu de son réquisitoire anti-Hollande et anti-Valls, elle parvient à glisser six lignes sympathiques : « ce redécoupage n’a aucune véritable cohérence géographique, culturelle et économique. La fusion de la Champagne-Ardenne, de l’Alsace et de la Lorraine est une véritable aberration historique. La Bretagne, quant à elle, n’est toujours pas réunifiée. »
On appelle cela le service minimum.
Une question pertinente : puisque le FN est hostile à la région, pourquoi présentera-t-il des candidats aux élections régionales de décembre 2015 ? Il y a comme une contradiction
Marion Maréchal Le Pen ne peut pas tout savoir. Elle n’est pas obligée non plus d’avoir une connaissance fine du code électoral. Sinon, elle saurait que parmi les élus autorisés à parrainer les candidats à l’élection présidentielle figurent les conseillers régionaux. Or il se trouve qu’à chaque fois, la recherche des cinq cents signatures ressemble fort à un parcours du combattant pour le Front National. Posséder un important contingent de conseillers régionaux – le plus près possibles de cinq cents – faciliterait donc la tâche de la tante, Marine Le Pen, pour 2022.
Ce n’est donc pas dans l’intérêt de la famille Le Pen de supprimer les régions en tant que collectivité territoriale, seule source de signatures « captives ».