D’après Graham E. FULLER

Ancien officier de renseignement américain, ayant successivement servi à la CIA (chef de poste à Kaboul), puis au National Intelligence Council (*) dont il fut vice-président, il a ensuite rejoint la Rand Corporation (*) en tant que politologue senior spécialisé dans le Moyen-Orient. Aujourd’hui professeur d’Histoire à l’Université Simon Fraser, il est l’auteur de plusieurs livres consacrés aux questions géopolitiques du monde arabe.

La guerre en Ukraine révèle deux réalités fondamentales et certaines tendances claires :

  1. Poutine doit être condamné pour avoir lancé cette guerre… Il peut être qualifié de criminel de guerre comme George W. Bush qui a tué beaucoup plus de gens que Poutine.
  2. La seconde condamnation revient aux États-Unis qui ont provoqué une guerre avec la Russie en poussant implacablement leur organisation militaire hostile, l’OTAN, jusqu’aux portes de la Russie malgré les alertes répétées de Moscou sur le franchissement des lignes rouges. Cette guerre n’aurait pas dû avoir lieu si la neutralité ukrainienne, comme celle de la Finlande et de l’Autriche, avait été acceptée.

Contrairement aux déclarations de Washington, la Russie est en train de gagner la guerre.

Les sanctions américaines sont plus dévastatrices pour l’Europe que pour la Russie. L’économie mondiale a ralenti et de nombreux pays sont confrontés à des pénuries alimentaires.

L’unité de l’OTAN se fissure. L’Europe commence à regretter d’avoir suivi le joueur de flûte américain car il ne s’agit pas d’une guerre ukraino-russe mais américano-russe menée sur le territoire ukrainien par procuration.

L’OTAN pourrait en sortir affaiblie. Les Européens reviendront à l’achat d’énergie russe bon marché. Une relation économique naturelle Europe-Russie serait d’une logique écrasante.

L’Europe perçoit les États-Unis comme une puissance en déclin dont la « vision » erratique et hypocrite de la politique étrangère repose sur le besoin désespéré de préserver son « leadership » dans le monde.

Washington a aussi indiqué que l’Europe devait s’engager dans une lutte « idéologique » contre la Chine, la lutte pour démocratie contre l’autoritarisme, mais en réalité, une lutte classique pour le Pouvoir sur le monde. L’Europe ne peut aller à une confrontation avec la Chine perçue, principalement par Washington, comme une menace, mais peu convaincante pour nombre d’États européens et une grande partie du monde.

L’initiative chinoise de la « route de la soie » est le projet le plus ambitieux de l’histoire mondiale. L’exclusion de l’Europe du projet lui coûtera cher. Elle ne peut fermer ses portes à la Russie, étape intermédiaire du projet eurasien chinois. Elle n’a aucun intérêt à rejoindre le wagon de tête contre la Chine ni à soutenir la tentative désespérée de Washington de maintenir son hégémonie.

Il faut s’attendre à une crise d’identité européenne pour son futur rôle mondial jusqu’au jour où lassée de la domination américaine, elle affirmera enfin son indépendance.

L’une des caractéristiques de cette guerre russo-américaine est la corruption des médias prétendument indépendants chantant le même refrain au sujet de cette la guerre. Bien entendu, on ne peut pas non plus faire confiance à la presse russe. Au-delà de cette massive et virulente propagande américaine anti-russe, il s’agirait de comprendre ce qui se passe réellement en Ukraine.

Les élites européennes commencent à se rendre compte de la manipulation à laquelle elles ont été soumises même par la presse véritablement libre et indépendante qui est en train de disparaître, tombant entre les mains de médias et d’entreprises proches des cercles politiques, soutenus par les médias sociaux électroniques, qui manipulent toutes les informations à leur profit. Ce contrôle étroit des médias par les États et les entreprises devient dangereux pour l’avenir de la démocratie.

Enfin, il est fort probable que la Russie ait basculé vers l’Eurasie alors qu’elle a cherché pendant des siècles à être acceptée en Europe. Sous la coupe américaine, l’Occident ne veut pas discuter d’une nouvelle architecture stratégique et de sécurité, attitude intensifiée par la crise ukrainienne.

Les élites russes n’ont plus d’autre choix que d’accepter que leur avenir économique se trouve dans le Pacifique. Vladivostok n’est qu’à une ou deux heures d’avion des économies chinoise, japonaise et coréenne.  L’idée que les États-Unis puissent nuire à la coopération sino-russe qu’ils ont provoquée est un fantasme. Brillante sur le plan scientifique, disposant d’une énergie abondante, riche en minerais et métaux rares, la Russie accroît grâce au réchauffement climatique le potentiel agricole de la Sibérie. La Chine dispose des capitaux, des marchés et de la main-d’œuvre nécessaires pour contribuer à ce partenariat naturel à travers l’Eurasie.

Toutes les attentes de Washington concernant cette guerre se révèlent finalement incorrectes. En effet, l’Occident pourrait avoir enfin compris que suivre la quête de domination mondiale de Washington dans une confrontation nouvelle avec l’Eurasie lui est dommageable. Quant aux autres pays du monde, ils ne trouvent pas d’intérêts nationaux dans cette guerre américaine contre la Russie.

Notes :

(*) Conseil National du Renseignement

(*) Rand Corporation, Institut américain de recherche pour l’amélioration de l’art décisionnel politique par l’analyse stratégique.

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