Par Éric de Verdelhan
« Selon le ministre ukrainien de l’énergie, Herman Haluschenko, la Russie a frappé environ 30 % des infrastructures énergétiques de l’Ukraine depuis lundi. C’est la « première fois depuis le début de la guerre » que la Russie « ciblait massivement » les infrastructures énergétiques ukrainiennes, a déclaré M. Haluschenko à CNN. Mais, selon le ministre, le système énergétique du pays reste stable. Dans la capitale, les responsables ont organisé des coupures d’urgence. L’électricité est rétablie dans plus de 3 500 municipalités ukrainiennes tandis que plus de 300 restent sans électricité, a rapporté le service d’urgence de l’État… » (Le Monde du 11 octobre 2022).
Depuis le début de l’offensive russe contre l’Ukraine, je m’inquiète du risque d’une guerre totale, avec l’utilisation possible de l’arme atomique. Je l’ai écrit dans de nombreux articles qui m’ont valu des propos acerbes, des leçons de morale, des invectives et parfois mêmes des insultes émanant des défenseurs du « camp du bien » car, chez nous, on se doit d’être pro-Ukraine sous peine d’être rangé, définitivement et irrémédiablement, dans celui du mal absolu. Pour ma part, je ne cesse de prêcher pour la neutralité, arguant pour cela que l’Ukraine est un état mafieux qui n’est membre ni de l’Union Européenne, ni de l’OTAN. Ce conflit ne devrait pas nous concerner !
Pour Macron, dans cette affaire, Vladimir Poutine est le seul responsable et le seul coupable. Il occulte les 30 années d’humiliation et de mépris à l’égard de la Russie, écartée de l’Europe. Il est vrai qu’il connaît mal l’histoire et n’a pas compris que c’est l’humiliation du Traité de Versailles qui est (en partie) responsable de la naissance du nazisme. Il ne dit rien non plus sur les promesses faites à Gorbatchev de ne pas élargir l’OTAN à l’Est ; rien sur la violation de la souveraineté de la Serbie bombardée par l’OTAN ; rien sur le dépeçage de ce pays en l’amputant du Kosovo ; rien sur le refus de Kiev de respecter les Accords de Minsk sur l’autonomie du Donbass ; rien sur les bombardements commis contre les populations pro-russes ; rien sur les milices nazies proches du pouvoir ; et rien sur les crimes et les exactions de la sulfureuse « Brigade Azov »…
Le 25 février, au tout début de l’offensive russe, le général Lalanne-Berdouticq déclarait :
« A partir de 1995, les Américains, qui avaient besoin d’ennemis pour faire survivre l’OTAN, s’étaient lancés dans des guerres folles : dans les Balkans (Serbie et Kosovo) en 1995, puis en 1999, en Afghanistan (2001) ou en Irak (2003). Ils s’engluèrent sur ces théâtres d’opération…Mieux, les Alliés imaginèrent de changer les régimes politiques de certains des pays du glacis vital russe, au nom du « droit d’ingérence », pour étendre leur propre vision de la démocratie… ». (1)
Le coup d’Etat du 22 février 2014, dit « de l’Euro-Maïdan », préparé, organisé et financé par les États-Unis (à hauteur de 5 milliards de dollars) ne visait pas à rendre l’Ukraine plus démocratique mais à la rendre plus… occidentale, c’est-à-dire antirusse. D’ailleurs, après la destitution du président Ianoukovitch, régulièrement élu en 2010, le premier acte législatif de la nouvelle équipe au pouvoir fut l’abolition de la langue russe comme langue officielle. Le message était clair !
Macron répète à l’envi que nous ne sommes pas en guerre contre la Russie, « et en même temps » il ne se passe pas une journée sans qu’on nous annonce de nouvelles sanctions destinées, parait-il, à punir Poutine alors même qu’elles pénalisent d’abord et surtout l’Europe (et la France).
Mais ces sanctions font les choux gras de « l’oncle Sam » ou, si vous préférez, de l’oncle Joe Biden (et de la Chine). Au tout début du conflit, j’écrivais ceci : « La Russie est autosuffisante dans de nombreux domaines, il y a donc fort à parier qu’elle souffrira moins que les pays tributaires – voire totalement dépendants – de son pétrole, de son gaz, de ses métaux rares ou de son blé… ». Nous commencions à manquer de tout après quelques mois de guerre.
Puis, brusquement, les tenants du « camp du bien » se sont mis à jubiler. Grâce à l’aide des Alliées, les troupes de Zelensky enfonçaient les Russes et regagnaient des territoires perdus au début du conflit. Et des spécialistes, autoproclamés pour la plupart, nous annonçaient à cor et à cri que l’Ukraine allait forcément gagner la guerre et que les Russes étaient cuits, battus, humiliés.
Sur les plateaux télé, les ex-officiers supérieurs ou généraux qui, il y a quelques années, nous affirmaient que Poutine récréait une armée impressionnante, plus forte que l’Armée Rouge d’antan, nous expliquent maintenant que les troupes du Kremlin ne valent rien, qu’elles ne sont absolument pas motivées, qu’elles refusent de se battre et que leur matériel est obsolète.
N’oublions pas que ces chroniqueurs sont, pour la plupart, des soldats d’opérette qui n’ont jamais fait la guerre, sinon autour d’un bac-à-sable (2), et que, depuis la Guerre du Golfe, ils passent leur temps à se tromper, un peu comme les économistes qui savent si bien nous dire le lendemain ce qui aurait pu (ou dû) se passer la veille. Ces gens-là vivent grassement des chaînes d’infos en continu.
Avant-hier, j’ai pris une leçon de stratégie guerrière de la part d’un imbécile qui a fait son Service Militaire dans la « biffe », il y a 50 ans et qui a fini…1ère classe. Certes il était secrétaire de son commandant de compagnie mais ceci ne lui confère pas la compétence d’un gradé d’active. Pour lui, Poutine est foutu, son armée va subir une raclée mémorable, il en est sûr et certain.
C’est aussi le point de vue de Guy Millière dans « les 4 vérités hebdo ». Avis aussitôt contredit par Jacques Guillemain dans « Riposte Laïque ». J’aurais plutôt tendance à croire Jacques Guillemain – ancien officier supérieur et pilote de chasse – dont je partage presque toutes les analyses, plutôt que le pontifiant Guy Millière, qui s’écoute écrire comme Macron s’écoute parler.
Mais en fait, je suis bien incapable d’avoir un avis étayé sur la question.
En France, comme dans la plupart des pays européens, nous avons volontairement coupé tous les canaux d’information en provenance de la Russie, il est donc difficile de se faire une opinion.
Quelle sera l’issue de cette guerre ? Quand finira-t-elle ? Qui va la gagner ? Personnellement je n’en sais rien mais je me pose des questions de simple bon sens :
Pourquoi la Russie, qui dispose parait-il d’une armée de plus d’un million d’hommes, n’en a-t-elle aligné que 110 000 en Ukraine ? Pourquoi a-t-elle été obligée de rappeler 300 000 réservistes ?
Pourquoi Vladimir Poutine n’a-t-il pas encore mis le paquet ? N’est-il pas en train d’utiliser la technique expérimentée par l’URSS lors de l’opération « Barbarossa » : exposer d’abord ses troupes les moins aguerries pour réserver l’offensive finale à ses troupes d’élites ?
Rappelons que l’opération « Barbarossa » a été déclenchée par Hitler le 22 juin 1941, soit un an exactement après la signature de l’armistice entre la France et l’Allemagne. Les plus sanglantes batailles de la guerre se sont déroulées sur le front soviétique. L’opération « Barbarossa » est la plus grande invasion de l’histoire militaire en termes d’effectifs engagés et de pertes : du côté allemand, près de quatre millions de soldats pénètrent en Union Soviétique. En plus des troupes, l’opération « Barbarossa » a mobilisé 600 000 véhicules et 600 000 chevaux.
La Wehrmacht possédait indéniablement une supériorité sur l’Armée Rouge, elle était mieux organisée, mieux commandée et avait, jusqu’à la gigantesque bataille de Koursk (en juillet 1943), une supériorité tactique. Elle bénéficiait aussi de l’effet de surprise.
L’Armée Rouge, décapitée par les purges de Staline, disposait de réserves humaines. Après le choc initial, l’éveil du patriotisme russe permettra à Staline de compter sur la troupe et le peuple pour sauver le pays. Pour l’Allemagne, c’est en Union Soviétique que la Seconde Guerre Mondiale commence vraiment, avec une campagne qui du 22 juin 1941 au 22 janvier 1942 voit tomber en moyenne 3 200 soldats par jour. Entre juin 1941 et mars 1942 environ 15 000 officiers furent tués. Aux six premiers mois de l’invasion, les pertes allemandes s’élevaient à 750 000 hommes, qui furent portées à un million à la fin de mars 1942. Au total, lors de la première année de campagne contre l’URSS, le Reich perdra 1,3 million d’hommes, sans compter les malades.
En 1942 l’Allemagne occupait l’Ukraine, la Biélorussie, le Nord de la Russie, soit plus de la moitié du pays, mais le Reich avait fait tuer ses meilleures troupes.
L’anticommuniste viscéral que je suis n’oublie pas qu’avec près de 26 millions de morts, l’Union Soviétique a payé le tribut humain le plus élevé de la Seconde Guerre Mondiale.
Certes le combattant russe actuel n’a plus rien à voir avec celui de l’époque, mais pourquoi l’excellente armée qui s’est bien battue en Syrie serait-elle devenue, depuis, une armée totalement inapte au combat ? C’est difficilement explicable et/ou difficilement compréhensible par le commun des mortels, le simple citoyen que je suis.
Je ne sais donc pas qui gagnera ce conflit. Mais je pressens, en revanche, une volonté des USA de souffler sur la braise, au risque de nous entrainer vers une Troisième Guerre Mondiale.
L’écrivain-philosophe Alain de Benoist écrivait récemment : « Les Américains ont réagi selon la tactique habituelle des Anglo-Saxons, par des sanctions et l’embargo, qui sont la version moderne du blocus, par la disqualification morale, l’inversion accusatoire, la sidération des opinions publiques par la propagande émotionnelle, le pilonnage médiatique et la criminalisation de l’ennemi.
La tactique a pour conséquence de rendre impossible tout retour à la paix par un règlement négocié du conflit puisqu’on ne négocie pas avec un criminel ou un fou. A la manière de la « cancel culture », la russophobie ambiante discrédite tout ce qui est russe, de Dostoïevski à Soljenitsyne en passant par Gagarine, les joueurs de tennis et les musiciens, tous victimes d’une même « réduction ad Poutinum. » … (3). C’est très exactement ce que je pense !
Laissons le mot de la fin au général Lalanne-Berdouticq, déjà cité et qui, contrairement aux militaires de plateaux télé, sait de quoi il parle :
« Poutine, homme d’Etat sans équivalent sur le continent européen depuis De Gaulle ou Thatcher, sera-t-il un nouveau tyran qu’il faudra un jour abattre, au prix d’immenses souffrances, tel un Hitler ? Ou bien, ayant gagné sur tous les plans, la sagesse le saisira-t-elle et se contentera-t-il d’assister au renoncement d’une Europe désarmée, repentante, envahie de peuples allogènes qui la haïssent, qui se meurt de dénatalité et de consumérisme sans espoir ?… »
Ce que nous sommes en train de vivre, c’est une guerre par procuration entre Washington et le Kremlin ; une guerre des mondes, pour ou contre l’hégémonie libérale ; une guerre des Etats civilisationnels contre l’universalisme hors-sol ; une guerre des peuples attachés à leurs racines, contre les « sociétés ouvertes » ; des forces d’enracinement contre les forces de dissuasion. Ce qui se trame, c’est une guerre à signification mondiale, une guerre pour la puissance mondiale.
Nous, Européens, servirions alors de chair-à-canon aux Américains.
Peut-être suis-je en train d’envisager un scénario-catastrophe ? J’espère me tromper mais ne soyons pas trop naïfs car, malgré les rodomontades d’Emmanuel Macron et de Bruno Le Maire, dans l’immédiat, c’est au plan économique que nous allons souffrir.
Biden, Macron, Ursula von der Leyen etc…ont choisi leur camp. Au risque de me répéter, j’ai choisi le mien. Ce n’est pas celui de la Russie ou de l’Ukraine, c’est celui de la France (et de sa survie).
Il nous faudra, tôt ou tard, faire enfin de la realpolitik et reprendre des relations normales avec la Russie, car c’est NOTRE intérêt !
Notes :
1)-Déclaration à « Breitz-Info » le 25 février 2022.
2)- On me rétorquera sans doute que moi non plus, c’est vrai. C’est pour cela que je me garde bien d’avoir un avis tranché sur des questions qui me dépassent.
3)- Dans la revue « Eléments » de juin-juillet 2022.