D’après Contrepoints

Depuis son monumental plantage face à Benoît Hamon lors de la primaire de gauche de 2017, on le voit chercher fébrilement le parachutage politique en vue qui rendrait enfin justice à l’immense expérience du pouvoir qu’il se décerne volontiers. Mais pour l’instant, c’est le tapis du flop et de la franche rigolade qui se déroule sur son passage.

Aux dernières nouvelles, il ne s’est jamais senti aussi Français, aussi amoureux de la France, aussi redevable à la France de tout ce qu’elle a fait pour lui… et aussi disponible pour se rendre « utile ».

Après tout, confiait-il récemment en toute simplicité à Paris Match« la politique est une affaire de pros, et je ne sais rien faire d’autre ». Un cri du cœur qui ne pouvait trouver à s’exprimer que dans un livre mi-testament mi-recherche d’emploi style « Ma vérité by Manuel » comme les politiciens aiment à en produire aux moments charnières de leur brillante carrière :

« Aujourd’hui, il me semble que les Français sont plus nombreux à m’écouter. Ai-je un rôle à jouer, je le pense. Suis-je à même de défendre l’idéal auquel je crois, une civilisation démocratique, laïque et tolérante ? J’en suis convaincu. »

L’opus du jour, d’où est tirée la citation ci-dessus, s’intitule « Pas une goutte de sang français – mais la France coule dans mes veines » et décline en long, en large et en travers la passion française de l’auteur à travers un lourd empilement de sublimes références littéraires et politiques (qui feraient presque oublier qu’il lui a fallu six ans pour obtenir sa licence d’histoire – mais ne soyons pas mauvaise langue et voyons la suite).

Son objectif ? Jouer un rôle dans la campagne présidentielle de 2022. Car quand le virus de la politique vous prend, c’est pour la vie, et notre Manuel Valls, même éloigné à Barcelone, ne pouvait voir la France aux prises avec le coronavirus et le terrorisme sans se sentir appelé à la rescousse :

« Je ne suis pas candidat […] mais je voterai toujours pour celui ou celle qui sera au deuxième tour et qui sera le plus en capacité, non seulement de battre Le Pen, mais de réconcilier le pays avec lui-même et de bâtir la coalition politique qui permettra de réunir ce pays. C’est ça, moi, qui m’intéresse. »

Comme l’épisode PS semble terminé pour lui, ainsi que l’affirme le chapitre « Adieu Solférino » de son dernier livre, et comme le Rassemblement national semble exclu de ses choix, on imagine sans peine que les oreilles d’Emmanuel Macron se mettent à siffler chaque fois que Valls pénètre sur un plateau-télé. Ses appels du pied en direction de la République en Marche sont gros comme une maison, mais pour une fois, il ferait preuve d’une certaine constance, même s’il s’agit pour l’instant d’une histoire d’amour non partagé qui remonte à 2017.

À l’époque, Valls s’était engagé à soutenir le candidat vainqueur de la primaire de gauche avec d’autant plus de facilité qu’il pensait bien être ce vainqueur. Sévèrement battu par Benoît Hamon qui représentait le versant gauchiste du PS, il ne tarda pas à se rallier à Emmanuel Macron – qui ne dit mot.

Les élections législatives venues, il a vite compris que tout Premier ministre qu’il fut, l’étiquette PS risquait de ne pas suffire pour préserver son poste de député face à un candidat En Marche ! Ne doutant de rien, il est arrivé un matin sur RTL en assénant à la stupeur générale qu’il était candidat… de la majorité présidentielle pour les prochaines législatives.

Mais soudain, problème : au PS, il était menacé d’exclusion pour désertion, tandis que chez Macron, où l’on tenait beaucoup au renouveau et à la fraîcheur en politique, l’enthousiasme à l’idée d’accueillir un ancien Premier ministre de François Hollande en mal de siège de député n’était pas débordant, débordant. (Vidéo, 01′ 14″) :

Finalement, Valls ne reçut pas l’investiture de LREM mais, petite concession macronienne, il n’eut pas non plus à subir la présence d’un candidat de ce mouvement en face de lui.

Le voilà donc réélu député de la première circonscription de l’Essonne, dans sa ville adorée d’Évry où il fut maire de 2001 à 2012 et où il assurait à ses administrés qu’il était profondément attaché à ce territoire, qu’il ne l’avait jamais abandonné même quand il assumait les plus hautes fonctions du gouvernement et qu’il serait toujours, toujours, toujours avec eux :

Les mois passent. De Premier ministre à simple député, c’est dur.

Manuel Valls entame une liaison avec une députée de la République en Marche (liaison qui précipitera son divorce avec la violoniste Anne Gravoin) mais Emmanuel Macron ne lui donne toujours pas signe de vie. Si l’on en croit le récit rapporté par Paris Match, en juillet 2018, le député de plus en plus esseulé demande audience auprès du Président. Il lui annonce son intention de quitter la France pour sa ville natale de Barcelone avec le secret espoir que Macron le retiendra, mais ce dernier ne relève pas.

Le moment d’écrire un nouveau livre est arrivé (il en a déjà une petite dizaine à son actif). Celui-ci, paru à l’automne 2018, s’appelle Barcelona, vuelvo a casa (Barcelone, je rentre à la maison). Tout l’amour politique dont Manuel Valls est capable se tourne maintenant vers la Catalogne où il brigue la mairie de Barcelone dont les élections municipales doivent se tenir en mai 2019. La France, la politique française, tout cela, c’est bien fini. Seule compte maintenant sa terre d’origine où il dit avoir enfin trouvé son équilibre et où il restera quoi qu’il arrive. « Je veux être le prochain maire de Barcelone » répète-t-il partout.

S’il s’imaginait que son aura de grand homme d’État venu de l’autre versant des Pyrénées allait lui ouvrir les voix et les cœurs des Catalans, eh bien c’est raté. Il a certes réussi à conquérir son épouse actuelle, Susana Gallardo, et celle-ci, ancienne tradeuse et héritière du groupe pharmaceutique Almirall, lui a ouvert pas mal de portes du côté du monde de l’entreprise. Mais au soir du scrutin, ce sont seulement 13,4 % des votes qui se sont portés sur son nom, le reléguant sans gloire au quatrième rang des prétendants. Hostile au courant indépendantiste, il se rallie à la maire sortante Ada Colau du parti d’extrême gauche Podemos et se retrouve simple conseiller municipal de Barcelone.

Les mois passent. De Premier ministre à député puis de député à conseiller municipal à plus de 1000 km de la capitale française, c’est dur.

Il y a urgence. Il faut trouver un moyen, un prétexte plausible de rentrer à Paris, en dépit de tout ce qu’il a pu dire auparavant sur son dévouement total pour la Catalogne. Déjà il y a un an, il faisait resurgir dans la presse la petite musique de son inébranlable patriotisme envers sa toute nouvelle « seule patrie » :

« Je n’ai jamais abandonné ou oublié ce pays qui m’a tant donné. Et au-delà de mon amour pour la France, ma seule patrie, je veux dire simplement que si mon retour en politique n’est pas à l’ordre du jour, je ne manquerai jamais d’être utile aux Français. » (Le Parisien, 28 fév. 2020)

Et soudain, à l’automne 2020, c’est le déclic. La combinaison de la pandémie avec la décapitation de Samuel Paty lui donne l’occasion qu’il attendait. Comment rester en Espagne alors que la France souffre ? Du reste, avec leur loi sur les séparatismes et avec leur loi antiterrorisme, que font Macron et Darmanin si ce n’est du Valls dans le texte ?

Aussitôt dit, aussitôt fait. La semaine dernière, Manuel Valls a annoncé qu’il allait démissionner de son poste de conseiller municipal de Barcelone pour se mettre à la disposition de la France. Se rendre « utile », son grand mot.

Quelle perte pour les Barcelonais ! Enfin, si l’on oublie la petite parodie grinçante que la chaîne publique catalane TV3 a imaginée en l’honneur de son départ (vidéo, 2′ 38″) ! On y voit un faux Manuel Valls déambuler dans les rues de Barcelone, se trompant sur les noms de lieux et se félicitant de rentrer en France pour retrouver l’adrénaline du pouvoir, n’importe quel pouvoir, pourvu que ce soit dans les ors de la République…

Parti pris d’un média qui soutient l’indépendance de la Catalogne comme Valls le souligne dans un tweet pour se dédouaner ? Peut-être. Mais Valls vient de la gauche et ceux qui le connaissent bien pour l’avoir fréquenté depuis le début de sa carrière dans les arcanes de l’UNEF et du Parti socialiste, parlent de posture de pure com’ au service de son immense ambition. Écoutons Laurent Mauduit, journaliste de Mediapart, ancien des cercles trotskystes lambertistes, de la MNEF et de l’UNEF qu’il connaît bien :

« Cherchant systématiquement à prendre des positions décalées (NdNMP : 35 heures, retraite à 60 ans), non pas dans une logique de conviction, mais de communication ou de marketing politique, il (Valls) ne rate aucune occasion de se distinguer et jouer de la provocation, dans le but de se faire un nom. »

Bref. Vous venez de lire un petit aperçu des tribulations d’un ambitieux sans qualités. Le plus désolant dans cette affaire, c’est que l’ambitieux sans qualités a été Premier ministre de la France – on ne risque pas de l’oublier, il le répète sans arrêt.

C’est dire le haut niveau de notre personnel politique…

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