Par Franck Buleux
On peut, sans se tromper, indiquer que le quinquennat d’Emmanuel Macron aura deux temps marquants, celui des Gilets Jaunes et celui de la crise sanitaire, représentée par le Covid-19.
Le premier temps est celui de la recherche, vaine, de l’incarnation politique par des centaines de milliers de manifestants face à un pouvoir fragile, mais imperturbable, menacé, mais institutionnalisé. On sentit une évolution sensible au cœur de la rue : d’un groupe non structuré contestant un pouvoir central aux accents populistes, d’abord sur le sujet de l’abus du fiscalisme, puis sur des sujets disparates, faisant applaudir, par exemple, l’hystérique Traoré dans son combat contre le racisme systémique.
On peut concevoir une jacquerie contre Bercy, Pierre Poujade avait rendu, dès 1953, ce combat contemporain. L’anti-fiscalisme a aujourd’hui une double limite : seuls 45 % à peine des Français paient l’impôt sur le revenu, dont les catégories supérieures (taxées à 41 ou à 45 %) qui préfèrent faire confiance à des professionnels de la gestion de patrimoine, et la grande masse non taxée ne se sent pas concernée. L’intérêt du combat de Poujade, dans les années 1950, reposait sur les cotisations sociales des travailleurs indépendants, qui sont donc, en l’espèce, tous concernés. Le combat anti-fiscalisme tombe dans l’indifférence, sauf à se focaliser sur une taxe catégorielle spécifique, que le gouvernement finit par supprimer ou en limiter l’assiette.
Et que reste-t-il aux mécontents à part la lutte contre la TVA, taxe qui concerne tous les consommateurs et désormais réglementée, en matière de taux, au niveau européen, l’impôt indirect le plus inégalitaire mais le plus indolore, bref pour cette seconde raison le mieux perçu puisque inaperçu. La lutte contre la fiscalité atteint donc ses limites dans une société où les règles manquent d’uniformité et de transparence. La lutte antifiscale s’est donc noyée dans un magma de combats validé par les médias mainstream, ceux des « sans » : sans-papiers, mal logés, sans droits (face aux forces de l’ordre). L’incarnation politique ne s’est pas présentée ou alors elle n’a pas trouvé son public : rappelez-vous les tentatives multiples préélectorales ou le dépôt de listes estampillés « Gilets Jaunes » aux élections européennes avec Francis Lalanne et son « Alliance jaune ou la révolte par le vote » qui plafonna à 0,54 %. Piètre spectacle pour un show sans intérêt.
Quel est le bilan : des souvenirs de convivialité pour les participants mais un renforcement du pouvoir qui a balayé l’opposition car, de deux choses l’une, ou cette dernière s’oppose au Système et devient « antirépublicaine », ou bien elle « comprend » mais « dénonce » les activistes, car il ne peut y avoir alternance que dans un cadre électoral. Ainsi soit-il. De Mélenchon à Le Pen, la limite de la contestation fut respectée, le « couvre-feu » politique fut compris et accepté. Si un doute subsistait, les images de certaines violences suffisaient à faire taire tout débat, la peur, vous dis-je, la peur. Dénonce-t-on les banlieues dans leur ensemble en montrant, en boucle, des assaillants violents d’un camion de pompiers ou d’un commissariat situé en « zone sensible » ? L’amalgame interdit pour certaines causes fonctionna pour les Gilets jaunes.
La seconde phase du quinquennat est celle, toujours en cours, du confinement et, plus généralement, de la réglementation liée à la crise sanitaire. Si la nature de cette phase est totalement différente de la première, ici la crise vient d’un évènement inattendu, imprévisible et irrésistible, il n’en demeure pas moins que les conséquences en sont strictement les mêmes : soit l’opposition se comporte en mouvements responsables, en se bâillonnant (toujours le « syndrome du masque ») elle-même, soit elle conteste en se muant en un groupe hors système, c’est-à-dire hors de la République, dont le but est de mettre en danger non seulement la démocratie mais la sécurité sanitaire des individus.
Un stade est franchi : les Gilets Jaunes première version mettaient en cause la démocratie, ceux qui regardent et diffusent le documentaire Hold-up mettent en cause la vie de leurs compatriotes.
Ce Pouvoir, élu par 66 % des suffrages exprimés et soutenu par une large majorité parlementaire en 2017, ne semble que se nourrir des peurs : peur de la violence des manifestants, peur de la sécurité sanitaire. C’est parce que les droits sanitaires des individus sont protégés par la Constitution (celle de la IVe République d’ailleurs, qui ont été repris dans le préambule de la Constitution de 1958) qu’il a été possible, légalement, de prendre, depuis mars 2020, ce type de mesures.
Depuis, on a appris qu’il y avait une France dont l’activité était non essentielle, ce qui vous en conviendrez est extrêmement bienvenu en matière de communication politique élémentaire.
Or, tentons une uchronie politique, imaginons que Marine Le Pen eut été élue en 2017. Pensez-vous réellement que ces méthodes (contre les Gilets jaunes, puis dans le cadre de la crise sanitaire) eurent été maintenues, voire du domaine du possible ? L’identification du fascisme par l’utilisation d’armes dangereuses et la mise en coupe réglée des libertés aurait été soulevée, décriée et dénoncée vivement.
Emmanuel Macron nous aurait expliqué que la gestion de la crise par « Madame Le Pen » (comme il l’exprime avec une condescendance non feinte) est une expression du fascisme.
Ce samedi (le 14 novembre), la police (donc Darmanin) vient de fermer une librairie, de force, à Cannes. Qui s’en soucie ?
Le quinquennat de Macron est le mandat de l’utilisation des peurs (je ne fais pas de conspirationnisme, je ne parle pas de « mise en place »). Un président, élu par les deux-tiers des Français, est obligé de diriger avec des procédés dignes d’une administration bananière d’un pays en voie de développement.
La chaîne de la peur vient de déboucher sur une nouvelle conséquence : le Covid-19 entraîne la peur de voter. Aussi, deux solutions sont proposées : le report des élections et le vote à distance.
Si la première version des Gilets Jaunes pouvait laisser une opportunité de combattre le Système, le Covid-19 ouvre la voie à une censure complète de tous ceux qui voudraient s’y opposer.
Aucune incarnation, aucune opposition n’est proposée à nos concitoyens pour contester ce Pouvoir dont la « branche médicale » a pris le pouvoir. Macron a parfaitement intégré le syndrome de la dictature, il met en place des « branches » au sein de ses propres troupes : parfois la « branche sociale » réagit, la « branche économique » la tempère et la « branche médicale » a le dernier mot. Macron nous explique, le plus sérieusement du monde, qu’il y a des médecins dans sa famille, ce qui doit sans doute expliquer cela.
La peur a pris le pouvoir. Elle n’est pas près de le rendre. Souvenez-vous, les Gilets Jaunes chantaient « Emmanuel Macron, on vient te chercher chez toi ! ».
À ce slogan, le président répond : « Restez chez vous ! »