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Par Franck Arnaud Ndorukwigira

La réalité est là, l’Afrique est la terre convoitée par les grandes puissances. La récente visite sur le continent de Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, et celle prochaine en août 2022 d’Antony Blinken, chef de la diplomatie américaine, en témoignent. Une convoitise d’ailleurs qui vient de conduire Emmanuel Macron en Afrique, pour combler le vide des relations entre la France et l’Afrique.

Sauf que la France y va par un chemin sinueux. En critiquant la soi-disant « hypocrisie » de l’Afrique vis-à-vis de la Russie et de son invasion de l’Ukraine, la France se pose comme un donneur de leçon, et veut imposer une vision unique de la guerre russo-Ukrainienne.

Le chef de l’État français a déclaré :

« Je vois trop souvent de l’hypocrisie, en particulier sur le continent africain […] à ne pas savoir qualifier une guerre, parce qu’il y a des pressions diplomatiques, je ne suis pas dupe ».

Pour Emmanuel Macron, il y a un contraste entre cette attitude et celle des Européens, qui « n’est en aucun cas de participer à cette guerre, mais de la reconnaître et de la nommer ».

L’Afrique a droit au libre choix

La plupart des États africains se sont gardés de critiquer la Russie après son offensive contre l’Ukraine. Ils ont leurs raisons que l’Europe ne connaît pas, ou du moins ignore.

Primo, l’héritage de la guerre froide témoigne que les pays africains ont une attitude de non-alignés. Les Africains ne veulent pas prendre position dans le bras de fer entre la Russie et l’Occident. Ils souhaitent rester neutres pour simplement avoir des relations avec tout le monde, afin de pouvoir peser dans d’éventuelles négociations bilatérales.

Secundo, l’Afrique fait face à une insécurité alimentaire sans précédent à cause de la guerre russo-ukrainienne. Le déplacement du chef de l’État français s’inscrivait également dans un contexte de menace de pénurie alimentaire pour le continent africain. Le continent africain est très dépendant car tributaire des fertilisants importés de Russie.

Il y a aussi une forte dépendance en approvisionnements, car plus de 40 % du blé consommé en Afrique provenait soit d’Ukraine, soit de Russie. Alors, l’Afrique a ses raisons qu’ignore Emmanuel Macron. Comme l’a signalé le chef de l’État sénégalais également président en exercice de l’Union Africaine, l’Afrique veut la paix et non l’alignement sur une position quelconque. Macron devrait se rappeler de cela avant de critiquer la position de l’Afrique, ou de donner n’importe quelle leçon.

La France, entrave de l’état de droit

« Si on voulait vraiment renouveler les relations entre la France et l’Afrique, on ne choisirait pas le Cameroun pour effectuer un tel voyage, car ce n’est pas un modèle de démocratie ».

L’Afrique centrale et de l’Ouest semble destinée à croupir indéfiniment sous la férule des dictatures françafricaines via des parodies électorales approuvées par la France et non par le peuple africain. Quand ça l’arrange, la France maintient des dictatures comme celle de Paul Biya au Cameroun, de la famille Deby au Tchad ou les Bongo au Gabon.

Si des Africains avaient la capacité de maintenir au pouvoir des chefs d’État en Europe pendant trente ou quarante ans, est-ce que les Européens l’accepteraient avec le sourire ?

Voilà pourquoi Emmanuel Macron devrait cesser avec de donner des leçons. À force de soutenir les intérêts des dictateurs, l’Afrique boite sur le chemin de l’État de droit, et se trouve en difficulté pour l’émergence de nouvelles forces qui souhaiteraient faire autrement.

Françafrique, la bête noire

La visite du chef de l’État français a lieu dans un cadre d’hostilité accrue à l’égard de la France sur le continent africain. L’expression Françafrique crée par l’économiste français François Xavier Verschaves, résonne toujours dans les cerveaux africains comme cette relation malsaine et incestueuse qui lie l’État français aux États issus de ses anciennes colonies. En voulant donner des leçons, la France renforce ce sentiment dans les cœurs des Africains, et augmente la haine envers la politique française sur le continent.

Or, la jeunesse actuelle qui est sur les réseaux sociaux a une large ouverture sur le monde et voit ce qui se passe ailleurs. Elle aspire à d’autres horizons que la Françafrique. C’est tout à fait normal que cette jeunesse-là veuille revisiter les relations entre la France et l’Afrique comme elle l’a fait savoir avec la rencontre de Montpellier en 2021. Malheureusement, avec ce ton de donneur de leçon, Emmanuel Macron ne comprend pas ce besoin d’ouverture.

Face à Emmanuel Macron donneur de leçons, les Africains sont en train de vivre le néo-colonialisme, la continuation de la colonisation sous une autre facette. Il faut redéfinir les rapports de force en faveur de l’Afrique qui doit savoir faire entendre au monde qu’elle n’est pas le champ de bataille que chacun aménage pour sa propre stratégie.

Le continent doit apprendre à négocier d’une seule voix. Une politique étrangère et de sécurité commune via l’Union Africaine permettrait de développer la présence et la visibilité africaines dans des régions du monde où elle n’a jamais véritablement été influente, et de disposer d’une politique industrielle africaine adaptée au XXIe siècle qui lui permette d’avoir une place de choix et de jouer le rôle de puissance et d’acteur influent qui est le sien dans les négociations internationales.

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