Par Philippe Migault

Directeur du Centre européen d’analyses stratégiques, Philippe Migault est spécialiste des questions stratégiques. Il revient sur la réunion à Bruxelles des 29 ministres de la Défense de l’OTAN qui s’est déroulée le 24 et le 25 octobre.

OTAN : Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. L’acronyme est limpide : Depuis 1949 l’Alliance Atlantique unit, de part et d’autre de l’Océan éponyme, les Etats européens et nord-américains désireux de faire front commun face à toute menace, toute agression. Le cadre géographique est clair. L’Alliance n’a pas, sauf attaque d’un adversaire éloigné contre un de ses membres, à intervenir en dehors de cette aire. Les attentats du 11 septembre 2001 justifiaient la solidarité atlantique et l’offensive de l’OTAN en Afghanistan. Ceux de Paris le soutien de l’Alliance aux opérations de la France en zone sahélo-saharienne et en Irak. 

On peut, en revanche, légitimement se demander pourquoi l’Alliance et son leader, les Etats-Unis, semblent aussi désireux d’élargir le cercle défensif bien au-delà de l’Atlantique nord, au sud de l’équateur et jusque dans le Pacifique, vers des Etats sur lesquels ne pèse quelquefois nulle menace majeure d’agression interétatique. Lors d’une déclaration effectuée le 23 octobre dernier, en marge d’une conférence de l’OTAN à Bruxelles, le secrétaire général de l’Alliance, Jens Stoltenberg, a ainsi fait feu de tout bois pour justifier l’intérêt croissant de l’organisation vis-à-vis de la zone Asie-Pacifique. 

Certes M. Stoltenberg n’a pas manqué d’évoquer une fois encore la rupture du traité FNI et la violation de ce traité dont se serait rendue coupable la Russie. Il a récité le traditionnel mantra otanien sur la menace balistique que ferait peser l’Iran et la Corée du Nord, justifiant prétendument la mise en place du bouclier antimissiles de l’OTAN aux portes de la Russie.

Mais cet exercice imposé expédié, il a surtout insisté sur la montée en puissance de la Chine, estimant qu’elle menait des programmes – armes hypersoniques, drones, ICBM, cyberoutils d’agression… – susceptibles de remettre en question l’équilibre mondial des forces. Reconnaissant que Pékin ne viole aucun traité mondial d’armement, mais possède des centaines de missiles correspondant au traité FNI, il a jugé que les Chinois ne pouvaient rester à l’écart d’un processus de négociation mondial portant sur la réduction des armes de destruction massive. 

Sauf que le traité FNI, signé à Washington en 1987, portait sur l’interdiction des armes à portée intermédiaire en Europe, zone d’action de l’OTAN, aire dont la Chine est éloignée de plus de 2 000 kilomètres si l’on s’en tient à la distance séparant l’Extrême-Ouest chinois de l’Oural, 4 000 si l’on s’en tient à la distance séparant le Xinjiang de l’est de l’Union européenne. 

Sauf qu’il n’existe aucun contentieux sérieux entre l’UE et la Chine susceptible de mener à un affrontement militaire entre celle-ci et les Européens. Evidemment les tensions commerciales avec Pékin sont permanentes, la rivalité croissante en Afrique – pour les seuls Européens que cela intéresse d’ailleurs, c’est-à-dire essentiellement Français et Britanniques – les affaires d’espionnage récurrentes. Mais le scénario d’une agression armée chinoise vis-à-vis des Etats européens membres de l’OTAN ou de l’UE relève de la politique fiction.

Dès lors, il n’existe qu’une explication plausible aux déclarations de Jens Stoltenberg : la volonté américaine d’impliquer les Européens de l’ouest dans le bras de fer qu’ils ont engagé avec la Chine, guerre commerciale et tension militaire dont l’administration Trump a seule décidé de hisser le curseur au-delà du raisonnable, comme Washington nous a enrôlés dans une politique de sanctions vis-à-vis de la Russie dont la France, notamment, ne voulait pas. 

Il ne s’agit pas d’ailleurs des seuls Européens de l’Ouest. C’est l’ensemble de la prétendue «communauté internationale», c’est-à-dire du monde occidental et de ses alliés japonais, sud-coréens, australiens, néo-zélandais, brésiliens… que Washington espère fédérer dans une alliance défensive globale, dont l’OTAN serait le pilier central. Dans un paradigme stratégique globalisé conjuguant volonté occidentale d’imposer son modèle et perte simultané de son attrait, il s’agit d’unir le camp des tenants du libéralisme financier, de la société ouverte, libérale-libertaire, contre celui des Etats estimant que le capitalisme d’Etat, le cadre de l’Etat-nation souverain, et les valeurs traditionnelles propres à chaque pays, à chaque société, constituent autant d’intérêts vitaux. 

En août dernier déjà, Jens Stoltenberg, en visite à Sidney à l’instigation des Etats-Unis, soulignait l’importance d’un partenariat entre l’OTAN et l’Australie, «partenaire au long cours et à haute valeur ajoutée de l’OTAN», pour «faire face à de nouvelles menaces imprévisibles (…) dans cette partie du monde». Evoquant la montée en puissance de la Chine en Afrique, la présence de navires chinois à proximité des eaux européennes, il jugeait que Pékin s’approchait de plus en plus de nos portes. L’OTAN a progressé de plus de 1 500 kilomètres vers l’Est, poussant ses blindés à 90 minutes de route de Saint-Pétersbourg, et la présence navale chinoise se résume à la visite de quelques escorteurs en Méditerranée, ne représentant aucune menace pour les marines de l’OTAN, mais qu’importe Xi Jinping

Et les Américains ont des droits que les autres n’ont pas.

Philippe Migault

Philippe Migault

Directeur du Centre Européen d'Analyses Stratégiques

Auditeur de l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) et du Centre des hautes études de l’armement (CHEAr). Analyste, enseignant, il est spécialiste des questions stratégiques.

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