D’après Drieu Godefridi

Les Wallons devraient observer avec attention ce qui se passe au Sri Lanka.

Grand par la taille, le Sri Lanka est un pays modeste par sa population : vingt-deux millions d’habitants. Ouvert sur l’extérieur, le Sri Lanka dépend largement du tourisme. À majorité bouddhiste, le pays doit composer avec une forte minorité tamoule de 30 %.

Quand un pays sombre dans la crise, les idéologues se précipitent pour identifier LA cause de la crise, toujours conforme à leurs théories. D’autres se réfugient dans un prudent les causes sont multiples qui a l’avantage de n’engager personne. On lit que le Sri Lanka serait victime de l’ouverture aux échanges internationaux (sic), de la corruption, de l’écologisme, du covid, des musulmans, des Chinois…

Pour comprendre ce type de situation, il est utile de remonter aux données primaires publiées par le pays, au lieu de se cantonner aux analyses de la presse. Certes, ces données peuvent être falsifiées. Rien n’indique que ce soit le cas au Sri Lanka et c’est donc par là qu’il faut commencer.

Dans son dernier rapport sur la situation du pays, publié en avril 2022, la Banque centrale du Sri Lanka indique que, pour 2021, les revenus du gouvernement sri-lankais étaient de 8 milliards, tandis que ses dépenses se montaient à 21 milliards. +8/-21 : ça sent de suite la combinaison gagnante, une martingale ! Le service de la dette publique atteignait 12 milliards et la dette elle-même se montait à 104 milliards.

Dit autrement le service de la dette publique du Sri Lanka absorbe l’intégralité des revenus fiscaux du pays, et il faut encore emprunter quatre milliards par-dessus le marché rien que pour la dette (jusqu’en 2019, le service de la dette n’accaparait que 7 % des revenus fiscaux du pays.)

« L’encours de la dette de l’administration centrale atteint un niveau déconcertant à la fin de 2021, déplore la Banque centrale du Sri Lanka, tant en termes nominaux qu’en pourcentage du PIB. Cette croissance est le résultat combiné du creusement du déficit budgétaire, de la hausse des taux d’intérêt du marché et de la variation de la parité […] Une série d’abaissements de la note souveraine par les agences de notation est intervenue au cours de l’année 2021, en raison de la détérioration de la position de liquidité extérieure accentuée par la réduction des réserves de change, les remboursements élevés de la dette à venir et l’insuffisance des flux de financement. » (Banque centrale du Sri Lanka, Rapport annuel 2021, avril 2022, page 177).

Concrètement, en 2021 le gouvernement du Sri Lanka était en faillite fiscale et budgétaire. Tel est l’indubitable contexte — la cause motrice selon Aristote — en gestation depuis de longues années, de la crise que traverse aujourd’hui ce malheureux pays.

C’est dans ce contexte déjà passablement douloureux qu’en avril 2021, le président sri-lankais décide superbement d’interdire toute importation d’engrais, obligeant les agriculteurs à se tourner dans l’heure vers l’agriculture biologique.

Ce suprême décret présidentiel, très en phase avec la religion écologiste de notre temps — les agriculteurs néerlandais et flamands n’en témoignent-ils pas ? — eut pour effet instantané, qui l’eût cru ? l’effondrement de la production agricole du pays.

Car on omet parfois de le rappeler, mais les rendements (la production) de l’agriculture biologique sont à la fois dérisoires et extrêmement onéreux. Si coûteux que l’on en revient très vite à des mécanismes économiques fondamentaux : quand l’agriculteur est mis en situation de ne pouvoir produire qu’à pertes, eh bien soit on lui donne une subvention, soit il arrête de produire.

Vu le contexte budgétaire du Sri Lanka, il n’était évidemment pas possible d’improviser un gigantesque programme de collectivisation de l’agriculture. Dès lors, la production s’effondra, les prix des biens les plus élémentaires ont explosé — dans un contexte déjà nettement inflationniste — et nombre de Srilankais ne mangent plus à leur faim.

La conversion du Sri Lanka à l’écologisme le plus radical — la même idéologie qui inspire les programmes Fit for 55 et Farm to Fork de l’Union européenne — apparaît, de ce point de vue, comme l’incontestable élément déclencheur de la révolution populaire. Quand ils ne mangent plus à leur faim, lorsqu’ils voient leurs enfants dépérir parce qu’ils sont mal nourris, c’est bête mais les gens ont tendance à se révolter.

En dépit de la torpeur estivale, les Wallons devraient observer avec attention ce qui se passe au Sri Lanka. Car l’allure générale des courbes budgétaires de la Wallonie n’est pas sans évoquer le tout-schuss vers les enfers du pays qu’on nommait autrefois Ceylan.

En réalité, si l’on voulait ajouter une note taquine, on observerait que, n’étaient les célèbres transferts financiers de la Flandre vers la Wallonie, cela ferait belle lurette que la population wallonne aurait rendu une visite de courtoisie à l’Élysette pour demander des comptes, à l’image du peuple affamé du Sri Lanka. La probable mise en place d’une majorité communiste en Wallonie en 2024 ne risque-t-elle pas de précipiter le destin srilankais de cette région ?

Aujourd’hui, le Sri Lanka a rendez-vous avec le Fonds monétaire international qui lui prêtera les fonds qui lui permettront de rencontrer ses obligations financières les plus pressantes. En échange de quoi, le Sri Lanka devra s’engager à des réformes radicales :

  • réduction drastique du nombre de fonctionnaires et de leur rémunération ;
  • réduction drastique des pensions ;
  • réduction drastique des subventions.

Toutes réformes que la Wallonie — pardon, le Sri Lanka ! — refuse obstinément depuis des années.

Dans le combat immémorial du réel et de l’idéologie, n’est-ce pas le premier qui, toujours, finit par l’emporter ?

 

Note :

Cette analyse a été publiée par l’hebdomadaire flamand ‘t Pallieterke.

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