Une relecture de Lewis Mumford (Compilation établie par Pierre-Olivier Combelles)

 

« La société des grandes métropoles est particulièrement bien outillée pour éliminer les initiatives spontanées et l’indépendance de l’esprit.”

« Au dernier stade de son développement, la métropole capitaliste est devenue le ressort essentiel qui assure le fonctionnement de cet absurde système. Elle procure à ses victimes l’illusion de la puissance, de la richesse, du bonheur, l’illusion d’atteindre au plus haut point de la perfection humaine.

En fait, leur vie est sans cesse menacée, leur opulence est éphémère et privée de goût, leurs loisirs sont désespérément monotones, et leur peur justifiée de la violence aveugle et d’une mort brutale pèse sur cette apparence de bonheur. Dans un monde où ils ne peuvent plus reconnaître leur œuvre, ils se sentent de plus en plus étrangers et menacés : un monde qui de plus en plus échappe au contrôle des hommes, et qui, pour l’humanité, a de moins en moins de sens.

Certes, il faut savoir détourner les yeux des sombres aspects de la réalité quotidienne pour prétendre, dans ces conditions, que la civilisation humaine a atteint son plus brillant sommet.

Mais c’est à cette attitude que les citoyens de la métropole s’entraînent chaque jour : ils ne vivent pas dans un univers réel, mais dans un monde de fantasmes, habilement machiné dans tout leur environnement, avec des placards, des images, des effets de lumière et de la pellicule impressionnée ; un monde de murs vitrés, de plexiglass, de cellophane, qui les isole de leur peine et des mortifications de la vie, – monde d’illusionnistes professionnels entourés de leurs dupes crédules. (…).

Les spectateurs ne conversent plus comme des personnes qui se rencontrent au croisement des routes, sur la place publique, autour d’une table. Par l’antenne de la radio et de la télévision, un très petit nombre d’individus interprètent à notre place, avec une adresse toute professionnelle, les mouvements d’opinion et les événements quotidiens. Ainsi les occupations les plus naturelles, les actes les plus spontanées sont l’objet d’une surveillance professionnelle et soumis à un contrôle centralisé. Des moyens de diffusion, aussi puissants que variés, donnent aux plus éphémères et aux plus médiocres ouvrages un éclat et une résonance qui dépassent de loin leurs mérites.

« L’histoire de Rome indique avec un relief particulier ce qui, dans le domaine politique aussi bien que dans celui de l’urbanisme, doit être à tout prix évité. Nous voyons là de nombreux signaux d’alarme, indiquant le départ de pistes dangereuses. Lorsque, dans les centres surpeuplés, les conditions d’habitat se détériorent tandis que le prix des loyers monte en flèche, lorsque le souci d’exploiter de lointains territoires l’emporte sur la recherche de l’harmonie interne, nous songeons inévitablement à ces précédents romains. »

Ainsi retrouvons-nous aujourd’hui les arènes, les immeubles de rapport, les grands spectacles avec nos matchs de football, nos concours de beauté, le strip-tease rendu omniprésent par la publicité, les stimulations constantes du sexe, de la boisson, de la violence, dans un climat digne en tout point de la Rome antique. Et nous voyons également se multiplier les salles de bain et les piscines, et des autoroutes non moins coûteuses que les anciennes routes pavées, cependant qu’attirent les regards des milliers d’objets éphémères et brillants, merveilles d’une technique collective, mis à la portée de toutes les convoitises. Ce sont les symptômes de la décadence : le renforcement d’un pouvoir amoral, l’amoindrissement de la vie. » Lewis Mumford, La Cité à travers l’histoire (The City in history, 1961). Editions Agone, 2011.

« Les sectateurs du mythe de la grande métropole, qui ne veulent voir dans ses proliférations cancéreuses que les poussées d’une croissance normale, continueront d’appliquer automatiquement leurs cataplasmes, leurs onguents, leurs slogans incantatoires et leurs spécialités de charlatans, jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour sauver la civilisation de la mort et se sauver eux-mêmes. Une grande partie de l’œuvre de reconstruction urbaine des cent dernières années, y compris, certes, la plus récente-démolition de quartiers insalubres, rénovation d’édifices publics, extensions suburbaines, maisons modèles-, n’a fait que perpétuer dans les structures d’une perpétuelle nouveauté la même concentration sans but défini et le même désordre fondamental auquel il était indispensable de porter remède. » Lewis Mumford, Le déclin des villes. France-Empire, 1970.

« Grâce à cette nouvelle « mégatechnologie », la minorité dominante créera une structure uniforme, supraplanétaire, embrassant tout, et destinée au travail automatique. Au lieu de fonctionner activement comme une personnalité autonome, l’homme deviendra un animal passif, sans but, conditionné par la machine, et dont les fonctions propres, suivant l’actuelle interprétation du rôle de l’homme par les techniciens, seront soit insérées dans la machine, soit strictement limitées et contrôlées au profit d’organisations dépersonnalisées, collectives. » Mumford, Le mythe de la machine, trad. 1973, p. 2

 

Notes :

Lewis Mumford est un historien américain, spécialisé dans l’histoire de la technologie et de la science, ainsi que dans l’histoire de l’urbanisme. Wikipédia

Date et lieu de naissance : 19 octobre 1895, Flushing, New York, État de New York, États-Unis

Date et lieu de décès : 26 janvier 1990, Amenia, État de New York, États-Unis

 

Et ici le résumé de l’ouvrage célèbre (et toujours épuisé en français depuis l’édition de Fayard en 1974): Le mythe de la machine: http://elkorg-projects.blogspot.fr/2009/12/lewis-mumford-…

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