D’après Martin Moisan

Ce matin, en contemplant mon potager, me revenait en mémoire cette considération des Britanniques sur les hommes: « fais-moi voir ton jardin et je te dirai qui tu es ».

Regardez les jardins, regardez les tours de maisons et ils vous diront tout de la personnalité profonde des gens, tant il est vrai que le jardin révèle ce qu’il y a de plus profond dans l’homme : son rapport à la terre et au temps, et pour qui sait observer, aux hommes.

Les jardiniers sont des personnages discrets, laborieux, parcimonieux et pourtant souvent géniaux, tant il est vrai que si certains subliment en se tournant vers l’infini, ces modestes contributeurs de la fécondation universelle subliment dans l’infiniment petit – ce qui tient entre leurs deux bras et dont ils sont certains de pouvoir s’occuper à la perfection. 

S’il existe une hiérarchie parmi les jardiniers, ceux des pays de Loire sont inégalables. Leurs ouvrages sont souvent de véritables chefs- d’œuvre. Nous autres, disciples plus modestes, ne pouvons que tenter de les imiter tant il est vrai qu’il faut une vie entière et une longue tradition avant soi pour tout savoir de la terre, de ce qu’elle peut nous donner, de ce qu’il faut y faire et surtout ne jamais faire, de la lune, du temps, de l’univers et finalement de l’infiniment grand qui nous dépasse ; nous qui sommes arc-boutés au ras du sol, les pieds dans la glaise et les yeux tournés parfois vers le ciel et vers le temps.

Le jardinier sont aussi des gens contemplatifs, ce qui les rend inventifs. Cela leur donne une capacité de compréhension profonde des choses et souvent des gens. Les petits noms charmants qu’ils donnent aux légumes sont souvent très évocateurs et révélateurs de la richesse de leur univers mental. 

La jaune obtuse du Doubs, la demi-longue intermédiaire, le monstrueux de Quarantan, le gros long d’été, la crapaudine, l’express à longue crosse, l’œil de perdrix, le Saint Sacrement, le rognon de Pont l’abbé, le Saint-Esprit à œil rouge, le nombril de bonne sœur 

Et puis au-dessus de tout, la « grosse blonde paresseuse », une variété de laitue au nom particulièrement évocateur. 

Rendez-vous compte, « Grosse blonde paresseuse », cela évoque la femme féconde aux larges hanches des plaines du Nord, les Rubens, la peau laiteuse, les chairs lourdes, la mollesse, l’indifférence et le négligé.

Frisée, scarole, trévise, romaine mâche, roquette, chicorée amère ont de loin ma préférence. Au jardin, je ne sème la grosse blonde paresseuse qu’en début de saison, et ce n’est que pour le bien-être de mon chat qui adore s’y vautrer par fortes chaleurs. Parfois, je le retrouve l’après-midi affalé en train de faire la sieste entre mes grosses salades, lové dans la fraîcheur qu’elles dispensent après l’arrosage. Ce chat adore ces salades.  Allez savoir pourquoi. 

À la maison, nous leur préférons et de très loin les autres variétés, croquantes, piquantes et fortement typées. 

À ce point de mon errance lyrique, il me revient soudain en mémoire qu’à Lyon il existe deux quartiers voisins, Montchat et Monplaisir dont les vielles Lyonnaises (dont certaines sont des luronnes) ne manquent jamais de vous dire avec un regard par dessous, « qu’entre Montchat et Monplaisir, il n’y a qu’un doigt ».

Pourquoi cette curieuse association d’idée, grosse blonde paresseuse, Montchat, Montplaisir

Et pourquoi pas “montre tout” à “Montretout” tant qu’on y est ?

Léautaud, qui vivait retiré parmi ses chats, en aurait sûrement fait une chute raffinée.

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