Par Antonin Campana

 

Précédemment, nous avons décrit la République comme un parasitoïde, c’est-à-dire un parasite qui se développe sur un organisme jusqu’à inévitablement tuer celui-ci.

 

Autrement dit, la République est un corps étranger. Si l’on quitte le domaine de la biologie pour celui de la politique, on dira que la République est un système colonial qui se développe sur le corps national.

Les objections à ce constat sont habituellement de trois ordres : premièrement, la République est le produit de notre histoire. Deuxièmement, les républicains de la période révolutionnaire sont tous des Français de souche européenne. Troisièmement, un pays ne peut se coloniser lui-même.

  1. La République est un corps étranger : une réponse aux réfutations

La première objection doit être sérieusement prise en compte et discutée. Pour qu’un système politique puisse naître et se développer à l’intérieur d’un corps social jusqu’à causer la mort de ce corps social, il faut qu’un déséquilibre existe déjà dans celui-ci. A notre sens, ce déséquilibre provient de l’importation d’une religion étrangère, le christianisme, que le corps social européen a européanisé mais qu’il n’a pas su totalement assimiler. L’histoire du christianisme est une succession d’interrogations, de remises en cause et d’hérésies qui empoisonnent les sociétés européennes et qui aboutissent finalement au protestantisme et à l’idéologie des Lumières, cette dernière étant une sorte de christianisme laïcisé. Il nous semble donc que la République est le résultat d’une lente putréfaction de la part non assimilée d’une religion étrangère, d’une sorte de cancer né dans le corps social européen, mais pas du corps social.

La seconde objection repose sur une réalité. Effectivement, les révolutionnaires de 1789 sont tous des Français de souche européenne ! Néanmoins, ce sont des gens qui s’inscrivent dans l’universel et qui parlent au nom de l’Homme en général. Ils se font un point d’honneur de ne pas distinguer selon l’origine, l’identité ou la religion… toutes choses humaines qu’ils ignorent et qui ne doivent pas intervenir dans la construction sociale artificielle qu’ils projettent. La citoyenneté est pour eux une appartenance réduite à un statut juridique n’excluant personne. En épousant la République, les hommes de la Révolution « française » (et leurs successeurs) s’extraient donc du spécifique (la francité) et rejoignent l’universel (le « genre humain »). En tant que républicains, ils fondent leur identité directement sur la notion d’humanité et ne sont donc pas plus Français que Tamouls ou Ouzbeks. Certains d’entre eux militeront d’ailleurs ouvertement pour qu’on ne parle plus de république « française », mais plutôt de « république universelle ». Politiquement et fondamentalement, en tant qu’orateurs du genre humain émancipés du spécifique, donc de leur appartenance identitaire et charnelle, les gens qui ont fait la Révolution sont des apatrides : à proprement parler, ce sont des étrangers.

La troisième objection (un pays ne peut se coloniser lui-même) ne vaut que si l’on assimile la République à la France.  Or, les deux ne se confondent pas puisque la France existait longtemps avant la République et que l’une relève du spécifique, alors que l’autre relève de l’universel. A travers la République, c’est bien l’universel qui arraisonne et colonise le spécifique. Cela paraît abstrait. Mais c’est au contraire très concret, car l’Etat républicain, bras armé du régime, a pour mission d’imposer l’universel en faisant refluer le spécifique : la laïcité religieuse se double d’une laïcité culturelle et ethnique. C’est lui en effet, l’Etat républicain, qui est chargé d’organiser et de faire fonctionner la société sur des bases acceptables par des hommes venus du monde entier. Réduit à exprimer le dénominateur commun de l’humanité, l’Etat républicain s’émancipe du distinctif, donc du « national ». N’étant plus national, il verse dans l’altérité. De fait, la France a donc bien été colonisée par un Etat étranger… même si cet Etat ne relève d’aucune nation étrangère en particulier.

  1. La République comme système colonial

Si la République était liée à la francité, elle serait restée dans l’hexagone et n’aurait pas éprouvé le besoin d’en sortir pour propager celle-ci. Les systèmes amarrés aux identités particulières restent toujours dans leurs frontières identitaires et ne colonisent jamais pour prouver un caractère général qu’ils ne prétendent pas avoir. Au contraire, qu’ils soient religieux (l’islam, le christianisme…), politiques (l’islam, le communisme…) ou économiques (le marxisme, le néolibéralisme…), les systèmes universalistes ont vocation à coloniser de nouveaux espaces afin de réaliser pleinement leur nature, afin de « s’essayer » et de se prouver. Le colonialisme colle donc à la peau de tous les systèmes universalistes agissant. Or, dès son origine, le républicanisme est un système universaliste pleinement agissant.

Pour imposer son modèle, la république universelle a conquis à partir de 1792 les trois-quarts de l’Europe.  Dès 1885, à peine revenue à la tête de l’Etat, elle reprend sa logique d’expansion, cette fois en Asie et en Afrique. A partir de 1970, l’universalisme républicain s’affirmera à travers les politiques d’immigration massive et la doctrine du vivre-tous-ensemble.

Mais observons correctement les faits. L’expansion républicaine est partie de Versailles en 1789, comme l’expansion de l’Islam est partie de Médine en 622. Puis la République investit Paris, comme Mahomet a investi la Mecque. Puis, opérant des massacres sans nom, elle se répand sur tout le territoire français, comme l’islam s’est répandu par la violence dans toute la péninsule arabique. Bientôt, elle envahit et républicanise la Belgique ou l’Italie, comme les musulmans ont envahi et islamisé l’Irak ou la Syrie. Quelques années encore et, traversant les mers, la République s’impose en Asie et en Afrique, comme l’islam s’est imposé en Espagne ou en Inde.  Les populations françaises ont-elles accueilli favorablement l’expansion républicaine ? Pour le savoir, il suffit de relever son coût humain : 600 000 Français (sur une population totale de 24 millions d’habitants !) ont alors été tués de diverses manières (René Sédillot, Le coût de la Révolution française, 1987). Incontestablement, c’est par la force et une violence inimaginable que la République s’est imposée à la France. Nous avons fait une comparaison avec l’islam : c’est que la République n’est pas une nation. Elle est, comme l’islam, une religion : une religion politique ! Et la France a été colonisée par cette religion comme l’Arabie l’a été par l’islam.

Notons ici que l’action de la République sur les territoires colonisés (l’entreprise coloniale), est partout la même. Les mêmes méthodes d’assujettissement sont employées en France, en Europe, en Asie ou en Afrique. La République commence toujours par détruire les anciens encadrements sociaux : elle a ainsi détruit la noblesse Française comme elle détruira les chefferies africaines. Ensuite, elle impose de nouveaux encadrements : préfets et sous-préfets ici, gouverneurs et administrateurs là. Enfin, elle redécoupe les territoires, à la règle et au cordeau, pour briser les appartenances identitaires : elle « départementalise ». Enfin, elle recompose les sociétés selon sa loi et les besoins de son administration. Ici comme là : destruction de la famille, destruction des religions traditionnelles, destruction des solidarités intermédiaires (paroisses, communautés, villages coutumiers…), isolement de l’individu face au pouvoir central et affirmation de la toute-puissance de ce dernier… L’objectif est partout le même : déstructurer pour briser les résistances !

L’exploitation économique des peuples colonisés est un autre invariant du colonialisme républicain. En Afrique et en Asie, la République exploite la main d’œuvre locale au profit de l’oligarchie qui est à sa tête. En France, pour enrichir les mêmes, elle fait travailler des enfants dans les mines, elle fait tirer sur les ouvriers qui meurent de faim, elle traite les ouvriers comme des esclaves. La République vole les patries pour voler la force de travail des peuples. En France, au nom de cette patrie confisquée, elle sacrifie dans ses guerres coloniales, puis mondiales, ceux qu’elle n’exploite pas dans ses usines. Le syndicalisme révolutionnaire dénonce cette exploitation, qu’il associe très justement au vol de la patrie par une entité étrangère. Pour Edouard Berth, théoricien du syndicalisme révolutionnaire et ami de Georges Sorel, la « collectivité ouvrière » est ainsi une « nouvelle patrie » car la « classe des féodalités financières et cosmopolites » a volé aux Français leur ancienne patrie. C’est pourquoi, explique-t-il, la collectivité ouvrière est une sorte de « collectivité nationale » avec ses rites, ses drapeaux, ses hymnes, ses mythes et son sentiment d’appartenance. Il distingue l’exploité qui appartient à cette « nouvelle patrie » de l’exploiteur qu’il décrit comme « un déraciné, un cosmopolite, pour qui il n’y a ni patries, ni classes » (Les nouveaux aspects du socialisme, 1908).

Par sa manière de se dilater, par sa manière de détruire les organisations sociales puis de les recomposer selon ses normes, par sa manière de réorganiser administrativement les espaces conquis, par sa manière de refouler les identités collectives, par sa manière de détruire les religions traditionnelles, par sa manière d’exploiter la force de travail des peuples conquis, par sa manière de manipuler les sentiments d’appartenance à son profit, la République est dans tout son être un système colonial. Elle agit comme tel partout où son pouvoir s’exerce. Véritable matrice du Système, elle a directement ou indirectement colonisé la plus grande partie de cette planète, imposant partout les mêmes organisations sociales, les mêmes exploitations et les mêmes manières de vivre (une organisation de la société est républicanoïde à deux conditions : d’une part quand un système représentatif amène mécaniquement les hommes de l’oligarchie au pouvoir, et, d’autre part, quand le vivre ensemble ne repose plus sur une identité commune mais sur un acte juridique : le « contrat social ». Peu importe qui se trouve au sommet de l’Exécutif. Ce peut être un président, un roi, des consuls, un empereur, un collège tiré au sort : si le système politique est représentatif et si le corps politique repose sur un contrat social désamarré de l’identité, alors vous vivez dans une république, ou, si vous préférez, vous vivez au sein du « Système » !).

Nous parlons « oligarchie », là où Edouard Berth parlent de « déracinés », de « cosmopolites » et de membres de la « classe des féodalités financières ». Nous parlons de la même chose, puisqu’il s’agit de cette caste qui est à la tête du régime, de cette caste qui a fabriqué ce régime de telle manière qu’elle soit toujours à sa tête, pour faire des lois qui lui permettent de piller, d’exploiter, de déraciner et de dissoudre méthodiquement les peuples qu’elle colonise. La République est un système colonial oligarchique.

  1. La République est un système colonial : conséquences stratégiques de ce constat

Ne pas dissocier la République de la France, ne pas reconnaître l’altérité radicale et ontologique de la République, revient à exposer son jugement à de graves dérives. Celui qui considère que la République est « française » affirme implicitement que les valeurs sur lesquelles repose la République sont des valeurs spécifiques relevant d’une identité particulière, des valeurs distinctives qui par nature ne seront pas partagées par tous les hommes (d’où les risques de conflits, voyez le Bataclan ou les banlieues). Il devra par conséquent déplorer l’immigration tout azimut, mais aussi remettre en cause toute l’architecture conceptuelle validant le « vivre-tous-ensemble » (à commencer par l’idée de « pacte républicain »). Au final, il devra récuser la République elle-même. Mais il ne le fera pas, car c’est précisément ce qu’il voulait éviter en la déclarant « française ».

L’exemple du Rassemblement National est assez édifiant. Le RN considère la République comme « française ». Parallèlement, il prétend pouvoir gérer le vivre-tous-ensemble en s’appuyant sur des valeurs singulières (celles de la France). Un ton plus bas, il ramène cependant ces valeurs singulières à celle de la République… qui sont universelles ! Comment faire autrement ?

Ce qui relève de l’universel ne peut en même temps relever du spécifique. Pour résoudre cette contradiction fondamentale, ceux qui veulent absolument que la République soit « française » tout en étant « universelle » sont obligés de redéfinir la francité. Il n’est plus question de religion, de traditions, de manière de vivre, ni même d’histoire ou de langue. Finalement, la francité est ramenée aux « Lumières », aux « valeurs de 1789 », à la « laïcité » ou aux « Droits de l’Homme ». Cependant, en ramenant la francité à l’universalité, ils détruisent la francité en tant qu’identité spécifique : ils commettent un ethnocide, un ethnocide qui, concrètement, se manifeste par le reflux de la francité réelle de la sphère publique et par la négation du peuple autochtone.

L’expression « république française » est donc un oxymore. Un oxymore qui masque la nature coloniale du régime et empêche de concevoir que ce régime nie le droit du peuple autochtone français à disposer de lui-même, et même son droit à l’existence ! L’expression est un vecteur de trahisons.

Quand on est colonisé, on ne recherche pas des strapontins auprès du colonisateur. On le combat. Toute stratégie électorale au sein d’un système colonial contient le principe d’une trahison du peuple colonisé. A quoi cela sert-il d’apporter des compétences au système qui a mené notre pays là où il se trouve aujourd’hui ? Ne faut-il pas plutôt détruire ce système pour recouvrer notre liberté et forger notre propre destin ?

Je vais déplaire à quelques-uns : une stratégie autochtone efficace regarderait plutôt du côté d’Hô Chi Minh, de Mohamed Boudiaf et de Nelson Mandela, que du côté de Marine Le Pen ou de Nicolas Dupont-Aignan.

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