Gilets Jaunes parfum de révolution

 

D’après Stéphane Montabert – LesObservateurs.ch

 

 

En novembre, le mouvement des Gilets jaunes commença à déborder des réseaux sociaux pour entrer dans le monde réel -et dans l’Histoire. Le gilet jaune est une idée de génie. Rendu obligatoire par la loi, tout Français disposant d’un véhicule a forcément un gilet jaune à disposition. Tout automobiliste est donc, forcément, un rebelle en puissance. Il peut se révéler partout, à n’importe quel moment.

La protestation était à l’origine liée aux nouvelles taxes sur le diesel, décidées par l’exécutif au nom de l’excuse magique du moment, la lutte contre le réchauffement climatique. Pour toute cette France des campagnes, cette France oubliée des services publics, cette France méprisée par les radars et les limitations à 80 km/h, cette France qui se lève tôt et qui travaille dur sans parvenir à s’extraire de la pauvreté, ces centimes d’euro font toute la différence.

Des millions de Français optent pour le diesel depuis des décennies. Selon un accord tacite avec les pouvoirs publics français, ils acceptent d’acheter une voiture plus chère à l’achat en contrepartie d’un moindre coût au kilomètre, grâce à la clémence des taxes sur le diesel. Alors qu’une part importante de leurs maigres revenus se transforme littéralement en fumée d’échappement, la hausse du diesel les ruine. Pire encore, des communes bien à gauche comme Paris décrètent que les voitures les plus polluantes – les sales voitures des pauvres – seront désormais interdites de circulation dans les zones les plus importantes. Leurs voitures d’occasion sont désormais invendables. Ils sont ruinés, désespérés, et se soulèvent parce qu’ils estiment n’avoir plus rien à perdre.

“Macron, démission”

En face, Emmanuel Macron se débat dans son incompétence pour juguler le mouvement, sans y parvenir, car il ne dispose pas du logiciel intellectuel adéquat. Il annonce simultanément qu’il faut entamer le  dialogue et qu’il ne reculera sur rien : comment prendre un tel individu au sérieux ?

Emmanuel Macron n’aime pas la France. Il méprise les Français, le pays et son histoire. Il l’a montré à de nombreuses occasions, et joue mal la comédie lorsqu’il faut faire autrement. Mais il aime le pouvoir, et en dispose en abondance – sur le papier en tout cas -. Son mouvement « La République En Marche » domine l’Élysée et l’Assemblée Nationale. Il ne peut donc pas reculer. Reculer reviendrait à affirmer que sa force est illusoire, sa légitimité, artificielle. Cela anéantirait la posture qu’il tente de cultiver depuis son adolescence, celle d’un homme vaillant et invincible, plus malin que les autres, et porté au-dessus d’eux par le destin. Cela dégonflerait la posture « jupitérienne » qu’il arbore depuis son élection. Arc-bouté dans sa suffisance – « qu’ils viennent ! » disait-il -,  il est condamné à échouer. Les vieilles recettes ne fonctionnent pas, parce que les « Gilets  jaunes » ne correspondent à rien de connu. Pas de porte-parole, pas de comité syndical qu’il serait si facile de corrompre. Pas de revendication précise sur laquelle céder en redoublant sur le reste – car il est désormais clair pour tout le monde que même si le gouvernement reculait sur le diesel, cela ne suffirait plus à calmer tout le monde, le point de non-retour ayant été dépassé. Pas possible de contenir géographiquement la révolte – les Gilets jaunes sont partout, à Paris et en province, dans les îles, dans les banlieues. Pas possible de rejeter la faute sur l’opposition, réduite à rien en Macronie.

Impossible de compter sur l’impopularité du mouvement. Les Gilets jaunes sont extrêmement populaires. Plus de 70% des Français les soutiennent – selon un sondage effectué après les émeutes de ce week-end. Les Français sont plus de 90% à condamner les violences, mais ils ne savent que trop bien que les débordements sont le fait de nombreux éléments opportunistes greffés au mouvement, et dans lesquels les Français ne se reconnaissent pas. Les opérations médiatiques lancées par l’Élysée auprès des rédactions pour tenter de salir les gilets jaunes ne fonctionnent pas. Elles ne contribuent qu’à décrédibiliser un peu plus les journalistes.

Macron essaye de retirer leur légitimité aux « Gilet jaunes » en jouant sur leur rejet par l’opinion publique – un chemin bien malaisé pour un président qui atteint un niveau d’impopularité inégalé à ce stade de son mandat-. La France reste écrasée par les impôts et taxes et le poids de l’État dans l’économie n’a pas diminué d’un iota avec Macron. Les réformes n’ont été que cosmétiques et n’ont contribué qu’à renforcer le fatalisme des Français, puis leur colère.

Les « Gilets jaunes » sont bien plus populaires que Macron. Le mouvement ne s’éteindra pas. L’explication tombe sous le sens : le chômage – officiel – est à un niveau élevé de 9,1% depuis des années. 8,8 millions de
Français, soit 14,2% de la population, vit sous le seuil de pauvreté. La croissance économique est quasi-inexistante. La moitié des Français salariés vivent avec moins de 20.520 euros annuels, soit 1.710 euros par mois. Cinq millions de personnes survivent avec moins de 855 euros par mois.

On peut comprendre la colère de ces gens lorsque les élites, jamais à bout de kérosène pour leurs jets, glosent sur la nécessité pour les peuples de se serrer la ceinture pour le plus grand bien de l’Humanité, ou s’enorgueillissent de vouloir accueillir – et traiter mieux que les autochtones – toute la misère du monde.

 

 

Zone de danger

Il ne reste que des choix dangereux, de mauvais choix. Convoquer l’armée, Instaurer le couvre-feu, provoquer un carnage, abandonner la rue aux casseurs dans l’espoir que les gens en appellent à nouveau à l’État pour restaurer l’ordre, espérer que le froid et la trêve de Noël viendront à bout de l’agressivité des manifestants. Peine perdue.

Des millions de Français – et plus encore d’étrangers – ont certainement été choqués par les scènes de chaos prenant place dans les rues de Paris. L’avenue des Champs-Elysées, autoproclamée la plus belle avenue du monde, est devenue un champ de bataille avec ses boutiques défoncées, ses barricades et ses brasiers.

Tout ceci s’est déroulé alors même que la mobilisation des « Gilets jaunes » est dans sa quatrième semaine. Les pouvoirs publics s’étaient préparés comme jamais pour faire face à tout débordement, mais ils se sont fait déborder. Sentant venir le vent, Gérard Collomb a eu la bonne idée de démissionner en octobre avant de pouvoir être tenu pour responsable de ce qui allait se produire.

Certains Français ne se sont guère émus de ce qu’ils ont vu à la télévision. Les millions d’habitants des banlieues, les survivants des zones de non-droit livrées à l’islamo-banditisme, vivent tous les jours ce qu’ont traversé les bobos parisiens ce week-end. Peu d’entre eux seront impressionnés par les voitures incendiées, les vitres brisées, ou les voyous cagoulés paradant devant des forces de l’ordre abandonnant le terrain – parce que c’est leur pain quotidien.

La violence s’est simplement invitée dans des quartiers plus visibles, jusque-là épargnés. Les défenseurs de la République sont fatigués, eux aussi. Macron a beau vouloir donner des coups de menton, l’intendance ne suit pas. La plupart des CRS sont aussi mal lotis que les manifestants qu’on leur envoie disperser. Les brigades anti-émeutes n’ont plus de matériel de rechange, de grenades lacrymogènes, de troupes fraîches. Des centaines de « Gilets jaunes » ont été arrêtés à Paris – pratiquement aucun en province – mais ils n’ont rien à craindre et ils le savent. Les lois Taubira sont passées par là. Les procédures judiciaires normales, même en « comparution immédiate », ne valent rien sans preuves, et il n’y a plus aucun personnel disponible, ni dans la police ni dans la justice, pour traiter des centaines de dossiers urgents, recouper les moyens de vidéo surveillance, récolter des prélèvement ADN et les analyser. Cerise sur le gâteau, la plupart des gilets jaunes ont un casier judiciaire vierge, ce qui signifie qu’ils risquent un rappel à la loi ou un sursis. Et ils pourront faire appel. On voit mal comment le dossier du moindre d’entre eux, compte tenu des circonstances, pourrait résister à une attaque sous l’angle du vice de procédure.

Les « Gilets jaunes » et les forces de l’ordre sont engagés dans une course d’endurance mais les seconds sont plus mal lotis que les premiers. L’état de délabrement du pouvoir en France est visible. La logique de pénurie des forces de l’ordre amena les pouvoirs publics à concentrer leurs dernières forces dans des unités mobiles, capable de créer le surnombre au point de décision ; mais la révolte est nationale, et les forces de police totalement débordées sur tout le territoire. En province, elles ne parviennent même plus à
protéger les symboles de l’autorité. Mais le veulent-elles seulement ?

Pour comprendre où nous en sommes, voilà deux tweets montrant des vidéos que nul n’aurait pensé possibles il y a encore une semaine – et que nul média mainstream ne montrera. La première montre des CRS ôtant leurs casques pour fraterniser avec des manifestants. La seconde montre des pompiers – des pompiers ! – tournant le dos aux politiciens lors d’une prise d’arme. Il faut le voir pour le croire.

Quelque chose est en train de changer en France. En seulement un an et demi, Emmanuel Macron et son mouvement La République en Marche ont réussi à se faire détester de tous. Après avoir axé son programme sur l’immigration et l’Europe, Macron déclarait crânement qu’il ferait obstacle au populisme ; la vague menace désormais de l’emporter.

Comment tout cela se finira-t-il ? Mal, c’est une évidence. Il y aura des morts, et chaque camp semble prêt à faire ce sacrifice. Mais quitte à donner froidement des pronostics, on peut prédire aujourd’hui plus d’avenir aux « Gilets jaunes » qu’à M. Macron.

Faites connaitre notre site, partagez !