Le billet de Franck Buleux

 

Depuis quelque temps, il est de bon aloi dans les médias de prononcer à tout va, le terme de distanciation sociale. Les chercheurs et les savants, devenus surintendants des nations démocratiques, utilisent distanciation sociale – rester à l’intérieur et éviter les interactions sociales avec d’autres personnes – pour réduire la propagation de l’infection Covid-19 contre lequel, d’après le président Macron, nous sommes en guerre.

Chaque soir, le professeur Salomon tranche ce qu’est vérité et ce qui est « Fake news ». Ainsi soit-elle (la vérité) !

Le président Macron, compte-tenu de son âge (il est né en décembre 1977) est un pur produit de la dimension virtuelle sociale, on peut donc comprendre qu’il soit facilement en guerre contre tel ou tel ennemi, sans que cela n’amène ni violence, ni bombes. La génération Nintendo, en quelque sorte.

Mais la distanciation sociale amène à, justement, remettre en cause la société dans laquelle nous commencions à nous enfermer, tout en croyant nous libérer. Cette subtilité, je vais tenter de vous la traduire en utilisant deux conceptions sociales, a priori, opposées mais, dans la réalité, proches : la post-modernité médiatique et l’expression religieuse pour laquelle « relier » porte le sens de la vie.

Il y a 20 ans, notre société post-moderne s’épanouissait dans le confinement, mais pas le confinement individuel ou familial, mais le confinement vu comme une expérience communautaire, de gens qui ne se connaissent pas pour vivre une expérience de tolérance (sic) humaine. Ne sommes-nous pas tous égaux ? Tous semblables ? Souvenez-vous, c’était la société du Loft. Et la société médiatique en faisait une histoire, notre histoire, Loft Story. Je ne te connais pas mais je t’aime déjà, car tu es un humain comme moi et je partage des ébats intimes avec toi dans une piscine sous une caméra médiatique, je résume un peu vulgairement cette aventure ou, en tout cas, ce qu’il en est resté. Ce confinement-là reproduisait, terminait, finalisait la société du spectacle, chère au philosophe Guy Debord.

Et ce confinement qui n’en est pas un, permettait de briser les barrières sociales mais ne soyons pas naïfs, les incompréhensions ethniques surtout. Loin de cette commune provinciale que je vous laisse qualifier (quel horrible mot que celui de « province » qui nous vient du latin, pro vincere, indiquant la défaite et la mise en coupe réglée d’un territoire au profit d’un autre) où l’autre, l’étranger était inconnu, la société médiatico-politique nous permettait de vivre ensemble à travers l’outil télévisuel. Bobigny devenait la ville-jumelle de Figeac. Et ces jeux n’étaient pas seulement des jeux, mais l’expression d’une nouvelle perspective de mode de vie, celle du mélange obligatoire, d’ailleurs à 20 ans, nous avons toutes et tous les mêmes soucis et les mêmes espérances, n’est-il pas et comme par hasard, celui qui exprime le mieux cette espérance est celui qui n’a aucun tabou social, celui qui ne connaît pas les convenances sociales, c’est lui, le « leader », celui qui s’affirme, le « grand frère ». Elle est loin, la distanciation sociale !

En même temps que notre société européenne s’occidentalisait (puisque ces jeux proviennent des États-Unis), d’autres types de société s’imposaient, sans s’intégrer et encore moins s’assimiler dans les quartiers, les banlieues si bien nommés à une époque (les quartiers bannis… Une parenthèse, vous rendez-vous compte de notre société actuelle : Paris, la province et la banlieue…). Bref, les banlieues apportent, non pas une déculturation ou un pseudo-nihilisme que l’on nous sert dans les médias, mais des cultures archaïques (car anciennes et contraires à l’évolution notamment du rôle de l’élément féminin dans nos sociétés), devenues démographiquement majoritaires. En effet, cette culture de l’embrassade « mon frère » ou « touche pas à ma sœur » est pénétrée aujourd’hui au cœur de notre quotidien. Les hommes sont frères, donc ils s’embrassent, se touchent, se serrent, se tordent, se frappent les mains. Les appartements sont surpeuplés, non pas par contrainte sociale, mais par choix : chaque évènement procède à cette culture du « monde », le décès, un mariage, une fiançailles… Le retour du religieux (vous savez les journalistes vous le rappellent chaque jour, ou presque, le mot « religion » vient de relier, relier les hommes entre eux…). Et puis, cinq prières par jour à la mosquée du coin, dans la frénésie physique, chaussures à l’extérieur, je t’aime, moi non plus…

Bien sûr, ce mélange entre la société post-moderne américaine et la société archaïque a su trouver sa forme médiane, la culture évangélique, prier en dansant, s’embrassant, dans la joie, style Whoopi Goldberg. Elle danse, Whoopi Goldberg…

Et comme il se doit, en France, le développement rapide du Covid-19 vient d’une fête religieuse. Dans la région Grand Est, l’épidémie de coronavirus Covid-19 est effectivement partie d’un rassemblement protestant évangélique à Mulhouse (Haut-Rhin) à la mi-février. Quelque 2.000 personnes s’étaient rassemblées pour prier, véhiculant ainsi le virus jusqu’en Guyane française. « Les Français aiment bien se faire la bise, on le pratique forcément et à cette époque on ne pouvait pas imaginer de prendre de la distance comme on le fait maintenant », explique Nathalie Schnobelen, membre de l’église.

Cet aspect communautaire ne m’incite pas forcément à appeler à un individualisme forcené mais à un retour sur soi, à un retour sur l’homme. Ne soyons pas naïfs, si la société n’évolue pas c’est parce qu’elle est communautaire, c’est parce qu’elle n’a pas suffisamment réalisée cette distanciation sociale. Et encore, cette distanciation a ses limites, les réseaux sociaux étant présentes en permanence pour nous déconfiner, au moins virtuellement.

Le vote Macron, comme d’autres d’ailleurs, est l’expression-même de cette absence de distanciation sociale. Je vote pour Macron parce qu’il est bien -il présente bien-, d’ailleurs mon professeur, mon voisin, la télé, tout le monde me l’a dit. Prendre une distance avec la société telle qu’elle nous est imposée peut permettre, à certains, de comprendre qu’il n’est pas l’autre, qu’il n’y a pas, forcément, d’esprit commun avec des gens avec lesquels nous n’avons rien de commun.

Depuis 20 ans, on nous présente la piscine de l’humanité, tous dedans à nous éclabousser. Embrassons-nous, Folleville ! Puisse cette épidémie nous redonner l’expression qui devrait nous caractériser, celle de la pensée personnelle, celle de l’intelligence. Avant de se relier avec les autres, il serait peut-être temps de comprendre qui nous sommes, et à titre personnel, qui je suis. Sur le fronton du temple de Delphes, il est inscrit depuis de longs siècles, « Connais-toi toi-même et tu connaîtras le monde et les dieux ». L’introspection, le regard en soi n’est-il pas tout préalable avant d’affronter l’autre, comprendre le monde.

 

Avant de nous relier, commençons à lier notre corps et notre esprit.

Faites connaitre notre site, partagez !