Par Antonin Campana

 

Selon Bernard Lugan, les nationalistes qui ont pris le pouvoir en Algérie au début des années 1960 appartiennent tous à un courant « arabo-musulman » (1). Le fait est d’autant plus étonnant, explique l’africaniste, que la population algérienne est très majoritairement berbère !

Pour justifier leur hégémonie politique, ces nationalistes arabo-musulmans vont affirmer, malgré les évidences, que l’Algérie est un pays arabo-musulman. Ils vont créer une idéologie arabo-musulmane qui s’affirmera contre l’identité berbère. Cette idéologie arabo-musulmane va nier la berbérité et décrire celle-ci comme une pure création coloniale. Elle va essayer de faire croire que les Berbères ont disparu au point de vue culturel et politique et qu’ils ont rejoint l’arabité dans laquelle, islam aidant, ils se seraient totalement dissous. Pour les nationalistes arabo-musulmans, à la tête d’un État algérien qui désormais ne se pensent qu’à travers l’identité arabo-musulmane, parler de berbérité revient à nourrir l’idée d’un complot contre l’unité de l’État.

Nous posons une question : ces hommes qui adhèrent à l’idéologie arabo-musulmane et qui constituent de fait l’encadrement de la nation algérienne appartiennent-ils au peuple berbère ? S’ils appartiennent au peuple berbère (ce qui est souvent le cas au niveau de leur lignée), alors ils trahissent à la fois leur peuple et leur identité (2). S’ils n’appartiennent pas au peuple berbère (puisqu’ils nient l’existence d’un peuple berbère et se disent arabo-musulmans), alors le peuple berbère est dominé par des étrangers. Il est colonisé !

Alors, traîtres ou étrangers ?

Ce petit détour par l’Algérie va nous permettre de revenir à la France et au régime français. Dès la Révolution, des républicains vont affirmer la France comme « république ». Ils vont créer une idéologie républicaine fondée sur une mythologie qui substitue à la francité identitaire une francité de papier. Ils vont ainsi faire subir aux français de souche européenne une véritable aliénation identitaire [« il n’y a pas de culture française » (3)].

Dès lors, le régime va affirmer l’idée que les Français ont disparu en tant que « groupe national, ethnique, racial et religieux » (les « Français de souche, ça n’existe pas ») et qu’ils ont rejoint le corps d’associés républicain, dans lequel ils se seraient définitivement dissous. Pour le personnel politique à la tête de l’État en place, État qui ne se pense qu’à travers les valeurs universelles de la République, parler de francité, au sens ethnique du terme, revient à nourrir un complot contre la République indivisible.

Nous posons donc une question : ces hommes qui adhèrent à l’idéologie républicaine appartiennent-ils au peuple français en tant que peuple autochtone et « groupe national, ethnique, racial ou religieux » (Cf. Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide, 1948) ? S’ils appartiennent à ce peuple (ce qui est souvent le cas au niveau de leur lignée), alors ils trahissent leur peuple. Ce sont des « Français reniés » qui désertent le peuple français réel pour le corps d’associés multiethnique (4), l’identité spécifique pour les valeurs universelles, la France pour la République. Mais s’ils n’appartiennent pas à ce peuple, puisqu’ils nient l’existence de celui-ci et se disent membres d’une sorte de résumé du genre humain, alors le peuple français est dominé par des étrangers. Il est colonisé !

Donc : traîtres ou étrangers ?

C’est un fait dont il faut tirer les conséquences : tous les apparatchiks du régime français affirment représenter le corps d’associés multiethnique et indivisible ; tous les apparatchiks du régime français disent que le peuple français de souche n’existe pas et que s’il a autrefois existé en tant que « groupe national, ethnique, racial ou religieux », il a aujourd’hui disparu. En bref, les apparatchiks du régime français se conduisent comme ceux du régime algérien, s’appuyant sur une histoire mythologique pour dénier ses droits au peuple dominé, exploité et emprisonné. Devons-nous encore considérer ces gens comme des membres à part entière de leur peuple ? En vérité, ayant fait sécession de leur peuple, ce sont des étrangers ! Il faut appeler un chat un chat : ceux qui ont choisi l’agrégat humain artificiel, c’est-à-dire la République, plutôt que le peuple autochtone enraciné, ont renié leur appartenance d’origine et littéralement changé de peuple. En reniant et trahissant leur lignée, ils sont devenus étrangers.

Un Français républicanisé est donc aussi étranger (et dangereux) à son peuple qu’un Berbère arabisé ! Mais le parallèle s’arrête là. Durant le « printemps Berbère » (1980), les Berbères ont réclamé face à l’arabisation rampante, la reconnaissance de leur identité niée. La langue berbère a été reconnue après le « printemps noir » de 2001. En 2016, la langue berbère est même devenue « langue officielle » au côté de l’arabe, « langue nationale et officielle ». Certes, les Berbères arabisés parlent une langue différente de celle des Berbères ethniques, ce qui fortifie le sentiment d’altérité de ces derniers. Cependant, le sentiment d’avoir été colonisés et dominés par le courant arabo-musulman a été un facteur clé de la prise de conscience identitaire et une cause profonde de révolte.

Rien de tel en France. Le remplacement du peuple souche, la négation du peuple souche, la marginalisation progressive de l’identité ancestrale du peuple souche génère une souffrance de plus en plus insupportable mais ne débouche sur aucune prise de conscience particulière. Nous sommes un peu comme des rats qui s’en tiennent aux chocs électriques qu’ils reçoivent sans établir de relations avec l’expérimentateur qui les administre. Dans un précédent article, nous disions que ce n’était pas les situations préjudiciables qui généraient les révoltes populaires, mais la conscience du rapport de domination qui provoquait ces situations. La grande différence entre les Berbères et nous est que les Berbères ont conscience du rapport de domination. Le processus de conscientisation berbère est le fait d’intellectuels (Mouloud Mammeri, Taos Amrouche, Mohand Arab Bessaoud…) et de l’Académie berbère qui, depuis son siège à Paris, travaillera à l’éclosion d’une conscience d’appartenance berbère.

Malheureusement, pour ce qui nous concerne, nous n’avons ni intellectuels, ni organisations qui travaillent à faire comprendre aux Autochtones qu’ils font partie d’un peuple séquestré dans un corps d’associés multiethnique. Nous avons tenté de poser, une stratégie de résilience nationale-autochtone. A la réflexion, cela est peut-être prématuré. On ne peut vouloir s’émanciper d’un rapport destructeur de domination si l’on n’a pas conscience de celui-ci. Mais comment convaincre les Autochtones en souffrance de s’intéresser moins aux chocs électriques qu’ils reçoivent qu’à ceux qui les administrent ?

Faire comme les Berbères peut-être ?

 

Notes :

  • Bernard Lugan : « Algérie, l’histoire à l’endroit-2007 »
  • Importé en France, le cas d’Houria Bouteldja du « Parti des Indigènes de la République », illustre tout à fait ce constat
  • Dixit Micronibus 1er
  • Il suffit d’un peu d’onomastique sur les signataires de l’appel à manifester le 10/11 contre l’islamophobie, à la suite de l’ineffable Méluche, pour reconnaitre la « francité de papier »
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