PLAN

– Première partie : Les deux conceptions de la souveraineté

– Deuxième partie : L’Europe comme absence de substance politique

– Troisième partie : La subsidiarité européenne, réponse au mondialisme


Deuxième partie : l’Europe comme absence de substance politique.

       Pour nos compatriotes, l’Europe est aujourd’hui synonyme d’impuissance, de paralysie, de déficit démocratique, d’opacité, d’architecture institutionnelle incompréhensible. L’incapacité de l’Europe dans tous les domaines, sauf celui de la réglementation tatillonne et paralysante, est une illustration frappante de cette situation. C’est par exemple la France qui assure presque seule l’engagement dans la bande du Sahel contre le Djihadisme. Autre exemple, l’Europe est incapable de prendre des positions fortes contre le dumping chinois qui ruine nos industries. Sans compter notre inféodation aux intérêts américains soucieux de nous faire bénéficier des « bienfaits » de la société multiculturelle…

        Pendant des décennies, la construction européenne nous a été présentée comme une solution : elle est devenue un problème que personne ne peut plus résoudre. Le Brexit et la montée des mouvements populistes sont là pour en témoigner.

        L’Europe donnait des raisons d’espérer ; aujourd’hui, elle fait peur. On en attendait un plus, et on en redoute un moins. Le projet européen ne s’assortit d’aucune finalité précise. Il n’a ni contours géographiques ni formes politiques bien caractérisées. Il manifeste une incertitude existentielle aussi bien stratégique qu’identitaire, que les souverainistes et les eurosceptiques ont beau jeu d’exploiter.

        Le projet européen s’est longtemps fait remarquer par les abandons de souveraineté auxquels consentent les nations, lesquels abandons ne sont nullement compensés par un renforcement de la souveraineté européenne. Cette absence de transferts à un acteur politique européen souverain est particulièrement préoccupante. Entre les nations et l’Europe, la souveraineté semble s’être évanouie, diluée dans les processus bureaucratiques de Bruxelles. Malgré ses 500 millions d’habitants, l’Europe reste une non-puissance, incapable de définir de manière unitaire une politique étrangère et de défense correspondant à ses intérêts propres.

Le 15 décembre 2005, Régis Debray écrit dans le Nouvel Observateur : « l’Europe, c’est une structure économique simple et un désert symbolique ». La « déconstruction » de l’Europe a commencé au début des années 1990, avec les débats autour de la ratification du traité de Maastricht. Au moment où la mondialisation faisait naître des craintes supplémentaires, les gens ont bien vu que l’Europe ne garantissait pas un meilleur pouvoir d’achat, une meilleure régulation des échanges commerciaux dans le monde, une diminution des délocalisations, une régression de la criminalité, une stabilisation des marchés de l’emploi ou un contrôle plus efficace de l’immigration. Bien au contraire.

        La construction européenne est apparue à bien des égards, non comme un remède à la mondialisation, un rempart contre une dérégulation généralisée à l’échelle planétaire, mais comme une étape de cette même mondialisation. On peut parler de l’Union Européenne comme d’ « un espace mondialisé ».

        Pour Jean-Michel Vernoret, « l’Europe, c’est le vecteur d’un arasement de toutes les valeurs enracinées au nom d’un mondialisme sans mémoire et sans visage ». Les inquiétudes devenues des peurs se sont ajoutées les unes aux autres et le désenchantement a commencé à gagner les milieux les plus variés. L’aboutissement final de cette dérive a été le « Non » au référendum de mai 2005 sur le projet de Constitution.

Dès le départ, la construction de l’Europe s’est en effet déroulée en dépit du bon sens.

Quatre erreurs essentielles ont été commises :

1) Partir de l’économie et du commerce au lieu de partir de la politique et de la culture en s’imaginant que par un effet de cliquet, la citoyenneté économique déboucherait mécaniquement sur la citoyenneté politique,

2) Avoir voulu créer l’Europe à partir du haut, au lieu de partir du bas,

3) Avoir préféré un élargissement hâtif à des pays mal préparés pour entrer dans l’Europe à un approfondissement des structures politiques existantes,

4) N’avoir jamais voulu statuer clairement sur les frontières de l’Europe et sur les finalités de la construction européenne.

        Obsédés par l’économie, les « pères fondateurs » des Communautés européennes ont volontairement laissé la culture de côté. Leur idée d’origine visait à fondre les nations dans des espaces d’action d’un genre nouveau dans une optique fonctionnaliste. Pour Jean Monnet et ses amis, il s’agissait de parvenir à une mutuelle intrication des économies nationales d’un niveau tel que l’union politique deviendrait nécessaire, car elle s’avèrerait moins coûteuse que la désunion. L’intégration économique, autrement dit, devait être le levier de l’union politique.

        Si Jean Monnet incarnait l’inspiration économique de l’Europe, Robert Schuman en représentait la part Catholique, sinon mystique, de pair avec l’Allemand Konrad Adenauer et l’Italien Alcide De Gasperi. C’est ce que le politologue Jean-Paul Bled a justement appelé « l’investissement des partis démocrates-chrétiens dans l’édification d’une société fonctionnelle, précipitant l’avènement de l’ère des neutralisations ».

        Il n’en est pas moins évident que, dès la déclaration Schuman du 9 mai 1950, puis la signature du Traité de Rome le 25 mars 1957, « le primat de la relation marchande et l’organisation de tous les rapports sociaux comme éléments au service de cette primauté sont au centre du projet européen ». N’oublions pas que le premier nom de  l’Europe » fut « Marché commun ».

        Cet économisme initial a bien entendu favorisé la dérive libérale des institutions, ainsi que la lecture essentiellement économique des politiques publiques qui sera faite à Bruxelles. Loin de préparer l’avènement d’une Europe politique, l’hypertrophie de l’économie a rapidement entraîné la dépolitisation, l’effacement des anciens systèmes de représentation, la consécration du pouvoir des experts, ainsi que la mise en œuvre de stratégies techniques obéissant, elles, non pas tant à des logiques économiques qu’à des impératifs de rationalité fonctionnelle.

        François Bayrou, le 14 juin 2001 écrira dans Libération : « Un cancer ronge l’Europe. Le cancer européen, c’est que tout y semble technique, et que plus rien n’y est politique ».

        Ce parti-pris en faveur de l’économie explique évidemment le déficit démocratique, maintes fois révélé, des institutions européennes. Aujourd’hui encore, la Commission européenne échappe pratiquement à tout contrôle, le Conseil des ministres, issu des gouvernements européens, n’a de comptes à rendre à personne, le choix du Président de la BCE n’a pas à être confirmée par le Parlement, et la nomination des membres de la Cour de Justice de l’Union est la seule affaire des gouvernements. Quand au Parlement Européen, élu au suffrage universel depuis 1979, il s’est de longue date transformé en pétaudière. Voir Anne-Marie Le Pourhiet : « Qui veut de la post démocratie ? » Le Monde, 11 Mars 2005.

        Parallèlement, cet économisme a donné naissance à une conception de la citoyenneté vidée de sa substance politique. Reposant sur l’idéologie transnationale des droits de l’homme, indépendamment de toute inscription territoriale particulière, cette citoyenneté ne se définit plus par la capacité de participation politique, mais par la jouissance de droits-créances dans le domaine économique ou social et par la constitution d’un espace juridique unifié, le rôle de l’Etat étant réduit à sa capacité « providentielle » de gestion et de redistribution des biens collectifs.

        Il est évident que, dans cette dernière conception de la « citoyenneté », la différence de situation, dans un pays donné, entre les nationaux et les étrangers en situation régulière devient imperceptible : tout projet politique commun ayant été évacué, la seule résistance à titre de consommateur ou d’usager ouvre droit à la citoyenneté.

        En 1992, avec le Traité de Maastricht, on est passé de la communauté européenne à l’Union européenne. Ce glissement sémantique est lui aussi révélateur : ce qui unit est moins fort que ce qui est commun. Le passage d’un terme à l’autre, consacre la primauté des impératifs du libre-échange sur ceux du rapprochement des peuples.

        Jacques Chirac, disait dans son célèbre appel de Cochin en 1978 : « Nous disons non à une France vassale dans un empire de marchands ». On sait ce qu’il en est advenu.

        L’Europe aujourd’hui, c’est d’abord l’Europe de l’économie et de la logique du marché, le point de vue d’une large partie des élites libérales étant qu’elle ne devrait être rien d’autre qu’un vaste supermarché obéissant exclusivement à la logique du capital.

        La troisième partie nous permettra de traiter de cette deuxième erreur qui a consisté à vouloir créer l’Europe à partir du haut, c’est-à-dire à partir des institutions de Bruxelles. Une saine logique aurait été d’appliquer avec rigueur le « principe de subsidiarité ».

 

 

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