D’après François Bernard Huyghe

 

Derrière toute force politique, il y a toujours une passion dominante. Dans le cas des Gilets jaunes, il s’agit du mépris (ou plutôt du sentiment d’être méprisés). D’où sa quête de reconnaissance (nous sommes le peuple) et sa méfiance envers l’autorité, surtout médiatique. Mais les élites ? La réponse semble de plus en plus évidente : la peur.

Après la promesse de la mondialisation heureuse, la fierté d’avoir éliminé le communisme, ou la confiance en la technologie libératrice, après le multiculturalisme, et, chez les Européens, après l’avènement d’une UE universaliste, protectrice, post-politique, pacifique… Ne reste plus que la peur, d’où l’impératif de repousser l’inacceptable (c’est-à-dire l’illibéral). Ou bien nous, les ouverts, les raisonnables, les véridiques ou bien le chaos populiste. Ce n’est plus le triomphalisme des années 90 (la soft-idéologie, ni celui plus tempéré des années 2000 (mondialisation heureuse après élimination du radicalisme). C’est la grande panique d’un système qui ne veut plus être jugé que sur dangers qu’il nous épargne. Le problème de la panique est qu’elle abrutit.

Des gens très brillants se mettent à penser en termes de causalité diabolique : tous les ennuis du monde viennent de la méchanceté de méchantes gens. Leur système mental semble incapable de concevoir que des attitudes politiques soient dictées par des intérêts nationaux (Russie) ou de classe (Gilets jaunes), ou que des gens ne partagent pas les valeurs occidentales libérales (il y en a pourtant des milliards à travers le monde). Confrontées à une monstrueuse panne de soft-power, les dirigeants, les membres de l’hyperclasse, les couches urbaines diplômées, les responsables du pouvoir symbolique, les experts, commentateurs et éditorialistes, bref tous les détenteurs du pouvoir économique, politique et culturel réduisent la question du conflit à celle de l’anomalie. Anomalie géopolitique : les puissances « révisionnistes » que sont la Russie et la Chine refusent de se soumettre à l’ordre international universel et exercent une influence suspecte. Anomalie électorale : votes Trump, Brexit, italien, brésilien, etc. Anomalie sociologique de cette France périphérique qui se révolte contre l’impôt et pour la démocratie directe. Anomalie intellectuelle : ces gens s’imaginent qu’il y a un complot des riches et des puissants.. Anomalie cognitive : nous sommes à l’ère de la post-vérité où, au lieu de se fier aux médias et aux sachants, toute une partie de la population se gave de fake news et de rumeurs. Anomalie psychologique : les masses semblent en proie à d’incompréhensibles contagions (peur de l’Autre, crispation identitaire). Anomalie éthique : le discours de haine et l’autoritarismes, inconnus des catégories supérieures, nous menace et nous renvoie aux heures sombres… Pensecomplexepadamalgam.

Bien entendu notre thèse n’est pas que Xi Jinping soit cool, Poutine libertaire ou qu’il n’y ait pas d’abrutis racistes et castagneurs parmi les populistes du monde entier. Notre thèse est que le discours qu’on aurait dit en d’autres temps dominant est dépolitisant : il réduit les conflits collectifs pour le pouvoir à des bizarreries individuelles ou à des conspirations de services et d’officines (tout en proclamant le ridicule du complotisme). Le registre des puissants est devenu celui de l’indignation. Leur analyse un réquisitoire. Leur solution : plus de contrôle et de rééducation.

Défendre son hégémonie en expliquant que ceux qui la menacent sont très méchants et très dangereux, c’est la meilleure façon de rappeler que c’est une hégémonie.

 

Source: http://www.huyghe.fr

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